Histoire & Enseignement

l'Association Belge des Professeurs d’Histoire d’Expression Française

1 Par Lambert EKANGA LOKOKA, Professeur Associé à l’Institut Supérieur Pédagogique de Kananga, dans la province du Kasaï-Occidental en République démocratique du Congo.

Introduction

La République démocratique du Congo (RDC), à l’instar d’autres pays africains, s’est engagée depuis 2005 dans un ambitieux projet de réforme de son système d’enseignement avec comme objectif de le coller au plus près des réalités locales et de satisfaire les besoins culturels, sociaux et économiques du pays. Cette réforme se traduit concrètement par un aménagement des programmes, des changements dans l’organisation du temps scolaire et la promotion de nouvelles méthodes pédagogiques.

Dans le domaine de la didactique de l’histoire, il y a une volonté de «décoloniser» les programmes en accordant une place de choix à l’histoire nationale et à celle de l’Afrique. L’approche par compétences étant dans l’air du temps (Cros et al. 2010; Tehio, 2009; Ibe, 2008; Verdelhan-Bourgade, 2007), il ne s’agit plus simplement de dispenser des connaissances générales de l’histoire aux apprenants, mais de développer des savoir-faire et savoir-être proches des compétences de l’historien professionnel. Les méthodes actives trouvent tout leur sens ici. Celles-ci viennent rompre avec les pratiques anciennes qui favorisent plus l’accumulation de connaissances et non le développement de réelles compétences.

Six ans après sa mise en œuvre, il nous a paru intéressant de questionner cette réforme dans ses fondements et dans ses réalisations sur le terrain. Entre les intentions annoncées et les réalités observées dans les classes, on note souvent des écarts. Qu’en est-il pour la RDC? Quelle est donc la place attendue des méthodes actives dans les programmes de l’enseignement de l’histoire en RDC? Quelle est la place effective des méthodes actives dans l’enseignement de l’histoire dans ce pays?

Il semble en tous cas en RDC que les enseignants assurant le cours d’histoire font très peu usage des «méthodes actives».

Pour arriver à cette évaluation, le présent article vise, dans un premier temps, à clarifier le concept de «méthodes actives». Il s’agit de rappeler son origine, sa (ses) définition(s), de le délimiter par rapport à certains termes qui lui sont apparentés (comme le constructivisme) ou opposés (comme les méthodes «traditionnelles») et d’établir le lien avec le concept de «forme scolaire». Dans un deuxième temps, il est question de préciser les pratiques d’enseignement promues et effectives dans l’enseignement de l’histoire. Dans un troisième temps, nous nous attelons à définir des indicateurs pouvant permettre l’opérationnalisation du concept de «méthodes actives». Nous allons, dans un quatrième temps, analyser le nouveau programme d’histoire de 2005 en référence à ces indicateurs; avant de rendre compte, cinquièmement, des données de terrain relatives à ces mêmes indicateurs. Nous procédons, enfin, à la discussion des résultats, pour en tirer la conclusion.

1. Clarification du concept de «méthodes actives»

 Le concept de «méthodes actives» s’inscrit dans un vaste ensemble appelé «pratiques d’enseignement». Le terme «pratiques d’enseignement»2 est déjà largement présent dans le champ des sciences de l’éducation. Il est donc relié à diverses problématiques et porteur de significations multiples: savoirs pratiques, application pratique des savoirs théoriques, pratiques de terrain, relation entre recherche et pratique, mais aussi pratiques enseignantes, pratiques de classe, etc.

Beaucoup d’auteurs (Clanet, 2008; Marcel, 2008; Rey et Khan, 2008; Talbot, 2008; Carette, 2008; Bru, 2002 et 2001, Altet, 2002, etc.) ont tenté de clarifier le concept de «pratiques d’enseignement». Talbot (2008), par exemple, a rappelé que différents concepts ou notions sont utilisés pour caractériser ce que réalise le professeur lorsqu’il enseigne. On parle alors de comportement, de travail, d’action, d’activité, de méthode, de conduite, de pratique(s)… Selon Talbot, tous ces termes sont souvent compris comme synonymes, mais quelques précisions s’imposent tout de même. Ce faisant, il apporte quelques précisions en partant de la définition donnée par Marcel (2008), celle qui caractérise les pratiques comme un système composé fondamentalement de trois entités interdépendantes: l’action, l’environnement et l’acteur.

Talbot a abandonné la notion de méthode d’enseignement, qui longtemps désigna la façon dont l’enseignant procède en classe, car trop restrictive. Il lui a donc substitué celle de «pratiques» d’enseignement qui marque ce que fait l’enseignant plus ou moins consciemment dans son activité professionnelle face à un groupe d’élèves au sein d’une situation didactique et pédagogique particulière. Ainsi, nous considérons ici le concept de «méthodes» comme un sous-ensemble de celui de «pratiques d’enseignement», qui à son tour, constitue une sous-partie des «pratiques enseignantes» qui englobent ce que fait l’enseignant lors des phases pré ou post-actives (préparations, corrections, réunions d’équipes, participations aux différents conseils, relations avec les parents d’élèves, surveillance, etc.). Certes, le concept de «méthode» est souvent compris comme synonyme de «pratique» en enseignement, mais, Bru (2006) fait remarquer que, quand on questionne les enseignants sur leur méthode de référence, on se rend compte que les configurations de leurs pratiques sont en rapport direct avec cette méthode, mais pas de façon exclusive. Dans la constitution de la configuration d’une pratique d’enseignement, plusieurs autres éléments interviennent. La méthode oriente les choix, mais ne les détermine pas entièrement et dans sa pratique, l’enseignant ne se contente pas d’appliquer une méthode.

Les pratiques d’enseignement résultent donc d’interactions ou d’actions d’un sujet (l’enseignant) avec des acteurs (notamment avec des élèves) dans un contexte singulier (la classe, l’école, l’actualité, les textes législatifs…). Les gestes, les conduites, le langage, les actions, mais également les activités cognitives, les idéologies, les représentations…les caractérisent aussi.

Dans le cadre de cet article, ce sont les activités pédagogiques déployées par les enseignants en classe d’histoire qui nous intéressent, étant donné qu’elles engagent ou non les élèves à l’apprentissage de l’histoire.

Ainsi, pour mieux comprendre la place qu’occupent actuellement les méthodes actives dans le processus enseignement-apprentissage de l’histoire à l’école secondaire en RDC, les questionnaires, les observations de classes et les entretiens avec les enseignants se trouvent être nécessaires et incontournables. Cela nous permettra de mieux appréhender les pratiques effectives des enseignants d’histoire et de nous rendre compte de leur conformité aux directives du Nouveau Programme d’Histoire (PNPH).

1.1 Origine du concept de «méthodes actives»

On peut bien sûr déjà trouver des éléments précurseurs du concept de «méthodes actives » chez des auteurs anciens (humanistes de la Renaissance, Comenius au XVIIe siècle, Rousseau au XVIIIe siècle, etc.) ; mais, il trouve essentiellement son origine dans les travaux des psychopédagogues du XIXe et début XXe siècles qui fondèrent leur réflexion sur l’activité et l’intérêt de l’apprenant (Ferrer, 2009; Jain, 2003 et Hameline et al. 1995). Il s’agit entre autres de: C. Freinet, H. Spencer, F. Ferrer, O. Decroly, E. Claparède, M. Montessori, A. Ferrière, J. Dewey, J. Piaget, etc.

C. Freinet, par exemple, met en œuvre une pédagogie qui tourne résolument le dos aux méthodes «traditionnelles» (Alexandre 2011). Visant l’«école du peuple», Freinet s’appuie sur l’expression libre des enfants, leur expérience et leurs tâtonnements. Pour lui, il faut laisser les enfants émettre leurs propres hypothèses, faire leurs propres découvertes, éventuellement constater et admettre leurs échecs mais aussi parvenir à de belles réussites dont ils se reconnaissent les vrais acteurs. Pour y arriver, quelques préalables s’imposent: une très forte motivation, une implication immédiate de chaque enfant confiant en lui et en ses possibilités de progresser par lui-même. L’intérêt réside aussi dans le fait qu’il est inutile d’apprendre par cœur quelque chose que l’on a découvert par tâtonnement expérimental; on s’en souvient sans effort. Le rôle de l’enseignant est de canaliser, guider, accompagner, relancer, et même, en cas de nécessité, réorienter une recherche qui s’enlise.

Quant à J. Piaget (1975, 1973, 1966), il s’est intéressé au développement de l’intelligence chez l’enfant. Compte tenu des résultats de ses études, il définit la progression de l’intelligence chez l’enfant en plusieurs stades, eux-mêmes divisés en sous-stades. Chaque stade conditionne le passage au stade suivant. En fait, Piaget met en évidence le fait que l’intelligence de l’enfant se «construit» par étapes, s’opposant ainsi fermement à toute conception innéiste.

Bien que la linéarité de son modèle soit l’un des aspects les plus critiqués de son œuvre, son modèle de développement de l’intelligence a l’immense avantage d’attirer l’attention du monde éducatif sur la lente construction de l’abstraction jusqu’à l’adolescence et la façon dont celle-ci se développe par une active et continuelle confrontation aux objets et au monde. Piaget n’hésite pas à souligner que «l’action est indispensable aux apprentissages».

Ce psychologue genevois avance le concept de «schèmes d’action» pour expliquer comment s’effectuent les actions des êtres humains. Selon Piaget (cité par Alexandre, 2011) «Un schème d’action est une suite d’actions complètement intériorisées et reproductibles. Chaque individu se construit progressivement par une quantité de schèmes qui s’imbriquent et se complexifient. Les schèmes profondément installés, souligne-t-il, peuvent constituer des obstacles, il faut alors les déstabiliser pour rendre possibles des apprentissages nouveaux »(14).

Les résultats des études de Piaget sur le développement de l’intelligence chez l’enfant ont eu de fortes incidences sur l’apprentissage scolaire des élèves. Beaucoup de programmes scolaires ont été et continuent à être revus suite aux résultats de ses études. Il en est de même pour les pratiques d’enseignement utilisées dans plusieurs disciplines scolaires.

Somme toute, l’origine des «méthodes actives» se trouve dans le principal souci de ces différents «pionniers» de l’éducation afin de rompre avec l’enseignement traditionnel, caractérisé par la relation de contrainte et de baser l’enseignement sur l’intérêt, l’activité, le développement de l’autonomie de l’enfant et sa capacité d’«apprendre à apprendre». C’est ainsi qu’ils ont mis sur pied des systèmes d’éducation tenant compte résolument de problèmes de leur vie quotidienne, de leurs besoins élémentaires, de leurs motivations naturelles et spontanées…

 

1.2 Définition du concept de «méthodes actives»

De manière générale, une méthode est entendue, en pédagogie, comme étant «un ensemble plus ou moins bien structuré et cohérent d’intentions et de réalisations éducatives orientées vers un but explicitement énoncé ou implicitement admis» (Dioum, 1988). Pour Raynal et Rieunier (2010), une méthode est une organisation codifiée3 de techniques et de moyens mis en œuvre en vue d’atteindre un objectif précis.

En pédagogie, on distingue traditionnellement deux types de méthodes: les méthodes dites «traditionnelles» et celles appelées «nouvelles, modernes ou actives». Les «méthodes  actives» semblent être définies différemment par les auteurs, mais on retrouve tout de même quelques terrains ou points d’entente entre eux. Avant de mettre en relief ces points d’entente, qu’entend-t-on par «méthodes actives»?

Foulquié (1978) définit les «méthodes actives» par opposition aux «méthodes traditionnelles». Selon lui, les méthodes actives font, qu’au lieu que l’élève enregistre l’enseignement donné par le maître au cours d’une leçon, il assimile lui-même son programme et se forme par des exercices personnels. Le travail du maître étant de contrôler le travail de l’élève et de le diriger selon ses goûts et ses intérêts.

Pour Mialaret (1982), les «méthodes actives» sont des méthodes pédagogiques qui visent à faire en sorte que l’élève devienne le propre artisan de son savoir. Autrement dit, qu’il découvre par lui-même au lieu qu’on lui impose. Il n’est pas question ici de nier les connaissances en tant que telles; mais au lieu que l’enseignant demeure le maître du jeu (choisir seul les notions à faire acquérir, décider de la stratégie…), il est souhaité que la matière d’étude soit élaborée par l’élève.

Alexandre (2011) pour sa part, désigne par “méthodes actives” «toutes les méthodes pédagogiques qui se fixent pour objectif de rendre celui qui apprend vraiment acteur de ses apprentissages, afin qu’il construise ses savoirs à travers des situations de recherche»(35).

Comme on peut le remarquer, les «méthodes actives» se fondent sur les critères suivants:

  1. L’«intérêt» ou le «besoin» exprimé par l’apprenant revient dans les trois définitions. Il n’y a donc «méthode active» que s’il y a «initiative», «choix volontaire de l’élève». Dans les «méthodes actives», comme le dit Vial (1986), l’acte pédagogique satisfait à un besoin de l’enfant ou répond à ses intérêts, à la motivation; cette motivation est d’autant plus réelle que sur son initiative personnelle, l’enfant élabore un projet et s’investit dans sa réalisation.

  2. Le second critère qui revient dans ces définitions est l’«effort personnel» de l’élève; cela n‘exclut nullement le travail en groupe. C’est l’apprentissage autonome ou l’auto-éducation qui ne se limite pas à seulement à l’auto-décision, mais vise l’autonomie croissante, la construction progressive de la personnalité de l’élève, sans contrainte extérieure.

  3. A ces deux critères s’ajoute le troisième, l’«activité» de l’apprenant, sur laquelle Mialaret insiste particulièrement. Selon lui, dans les «méthodes actives», le maître doit cesser d’être le «maître du jeu» en laissant l’élève agir seul tout en prenant soin, en cas de nécessité, de le «contrôler», de le «guider» et de l’«encadrer». Il convient de noter que l’«activité» dont il est question ici n’est pas une agitation stérile en classe, mais plutôt celle qui s’exerce au contact du réel, du concret que l’élève observe, manipule, recrée…

Par «méthodes actives» nous entendons donc un ensemble de méthodes, de pédagogies, et donc d’écoles, qui utilisent des procédés permettant à l’apprenant de satisfaire ses besoins de chercher, d’apprendre par lui-même ou en groupe. En d’autres termes, elles visent l’autonomie de la personne, son implication dans l’apprentissage. Aujourd’hui, on a tendance à classer sous l’expression «méthodes actives» toutes les méthodes qui impliquent réellement l’apprenant et qui tentent de lui faire construire son savoir (Raynal & Rieunier, 2010). Ainsi défini, le concept de «méthodes actives» se rapproche de plusieurs autres, notamment, celui du «constructivisme» et s’oppose à d’autres, par exemple, les méthodes dites «traditionnelles». Une délimitation avec ces différents concepts s’impose.

Dans le cadre de cette étude, nous entendons par «méthodes actives», toutes pratiques utilisées par l’enseignant et rendant l’apprenant actif dans son apprentissage scolaire

On peut se demander pourquoi cet intérêt pour les «méthodes actives», concept vieux de plus d’un siècle. Plusieurs raisons peuvent justifier notre choix :

  • D’abord, le NPH, qui est au centre de notre recherche, recommande aux enseignants d’histoire congolais l’usage de la pédagogie active et principalement de l’approche par compétences.

  • Ensuite, de nombreux courants ou mouvements pédagogiques mettent en œuvre des méthodes actives (Alexandre, 2011). Ainsi par exemple, le mouvement de l’«Education Nouvelle», créé il y a presqu’un siècle est toujours bien vivant de nos jours et de nombreux groupes s’en réclament. On peut citer: l’Association Française pour la Lecture (AFL), Centre d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active (CEMEA), Groupe Belge d’Education Nouvelle (GBEN), Groupe Français d’Education Nouvelle (GFEN)4, Pédagogie Freinet, Pédagogie Montessori… Le Crap (Centre de Recherche et d’Action Pédagogiques) édite les Cahiers pédagogiques et fait place tant aux travaux de la recherche qu’aux pratiques de terrain. Ces courants, nous l’avons vu, ne s’intéressent pas seulement à la question des savoirs mais à la formation et l’épanouissement global de l’individu grâce à l’école.

  • Enfin, depuis les années 1990, de nombreux systèmes éducatifs dans le monde ont profondément transformé leurs curriculums et programmes scolaires dans l’optique constructiviste et de l’approche par compétences que nous situons dans le prolongement de la pédagogie active ou nouvelle.

«Méthodes actives» au pluriel sous-entend qu’elles sont nombreuses. Toutes ces méthodes peuvent-elles amener les élèves à mieux apprendre ou construire les savoirs? Qu’est-ce qui différencie ces méthodes de la pratique à laquelle on prétend recourir aujourd’hui pour enseigner, notamment le «constructivisme»?

«Méthodes actives» et «constructivisme»

Comme nous l’avons dit plus haut, les «méthodes actives» sont nées au XIXe et au début du XXe siècle et furent utilisées d’abord par les «pionniers» de l’Education nouvelle ou Ecole active notamment Bovet, Claparède, Cousinet, Dewey, Ferrière, Freinet, Decroly, Montessori… Ceux-ci, voulant rompre avec l’enseignement traditionnel et la relation de contrainte qui le caractérise, ont basé leur pédagogie sur l’activité et l’intérêt de l’apprenant.

Quant à l’approche constructiviste, elle voit le jour dans la deuxième moitié du XXe siècle grâce surtout aux travaux du psychologue J. Piaget,mais aussi en référence au psychologue Vygotski, à l’épistémologue Bachelard, etc. Le courant constructiviste utilise également les apports des théories telles que la pédagogie de la découverte, la pédagogie ouverte de C. Paquette, les pédagogies de type incitatif et associatifde Thérer-Wilmart, l’auto-socio-construction des savoirs du GFEN… (Stordeur, 2006). Chacune de ces théories explicatives met l’accent sur un ou plusieurs aspects de la pédagogie constructiviste, en donnant plus d’importance au travail personnel de l’apprenant, ou à l’analyse didactique des disciplines, ou à l’interaction entre les acteurs de l’école, ou à l’ouverture au monde extérieur, ou encore à l’engagement socio-politique.

La conception constructiviste considère l’apprentissage, non plus comme l’apport dans l’esprit de l’apprenant des données extérieures, mais plutôt comme une réorganisation mentale du sujet. Le rôle de l’enseignant étant de mettre en place des conditions favorables à cette réorganisation mentale de l’apprenant. A cet égard, l’approche constructiviste se situe dans le prolongement des «méthodes actives».

Vu de manière générale ou sous une optique particulière, en l’occurrence, constructiviste, les «méthodes actives» impliquent une participation plus active des élèves en classe. Quels sont les points communs et de démarcation entre les deux?

Disons que les «méthodes actives» dans toute leur diversité mettent au centre du processus d’apprentissage des savoirs, l’intérêt, le besoin, l’effort et l’activité de l’apprenant. Mais, sous l’approche constructiviste de ces méthodes,l’apprentissage consiste en une réorganisation cognitive des représentations des élèves. Cette opération est nécessaire pour construire le nouveau savoir qui sera intégré à l’ensemble des connaissances acquises antérieurement. Comme cette opération n’est pas aisée, l’enseignant peut mettre en place un de ces dispositifs didactiques pour y parvenir: activités visant à faire émerger les représentations mentales des élèves et à les déstabiliser (fresque, définitions et questions spontanées), le travail sur documents, l’apprentissage des concepts par déduction et comparaison, les documents imaginaires, la compréhension d’une synthèse historique, des conférences-débats, etc. Tout cela se fait en vue de mettre les élèves en situation d’apprentissage, de conflit (socio)cognitif

«Méthodes actives» et «méthodes traditionnelles»

Si le constructivisme est une approche des «méthodes actives», «les méthodes traditionnelles» quant à elles, se situent à l’opposé de celles-ci. En effet, les «méthodes actives» prônent l’activité propre, la spécificité fonctionnelle et l’intérêt de l’apprenant; en revanche, les méthodes «traditionnelles» placent l’enseignant au centre de l’action pédagogique: il lui suffit d’exposer, d’exprimer le savoir pour qu’il puisse s’imprimer dans la «tête» de l’apprenant. Ce dernier est avant tout considéré comme une page blanche à écrire, ou comme un vase à remplir, comme une terre à modeler…

L’enseignement, dans sa conception traditionnelle est un rapport au savoir qui s’appuie, d’une part, sur une vision de l’enseignement dans une visée de transmission, d’approche descendante, impositive, normative, prescriptive et, d’autre part, sur une vision de l’apprentissage dans une optique d’ingurgitation, de soumission à la parole. C’est une conception à sens unique de la relation pédagogique car elle implique une conception de l’intervention qui nie l’existence du sujet en tant qu’auteur réel dans la mise en œuvre de ses processus d’apprentissage. Le sujet apprenant ne se définissait, selon les différentes conceptions qui ont régné, qu’en tant qu’un objet de manipulation ou mieux un pseudo sujet. Les métaphores pour le désigner n’ont d’ailleurs pas manqué d’inspirer: un récipient, une page blanche, une «tabula rasa», un jardin à cultiver, etc.

Dans les méthodes «traditionnelles», deux rôles sont assignés à l’enseignant. Il s’agit d’abord d’assurer un ensemble d’actions tournant autour de l’idée de «transmetteur d’un savoir»: réaliser un exposé dynamique illustré (il a été formé pour exposer clairement la matière); organiser, diriger le dialogue questions-réponses avec le souci de n’obtenir que de bonnes réponses; assurer la discipline, etc. Ensuite, le rôle traditionnel de l’enseignant est celui de «contrôleur» du savoir appris. Il vérifie l’écoute, les réponses, la copie et même les résultats du travail à domicile. Il est donc autant sélectionneur qu’enseignant.

Dans le cadre de cette étude, nous assimilons toute autre méthode d’enseignement qui maintient l’enseignant au centre de l’action éducative, aux méthodes «traditionnelles». Ainsi, par exemple, la méthode interrogative n’est pas véritablement active, car le fait pour les élèves de répondre aux questions séparées ne peut les amener à découvrir la structure d’ensemble des connaissances, alors que c’est justement cette structure d’ensemble qui devrait constituer l’essentiel de la découverte.

«Méthodes actives» et «forme scolaire»

La raison d’être de toute institution scolaire, quel que soit l’ordre (primaire, secondaire ou supérieur), est de transmettre les savoirs aux apprenants. Le but poursuivi est la maîtrise de ces savoirs par l’apprenant. Pour réaliser ce but ultime, la pédagogie traditionnelle a toujours privilégié l’activité de l’enseignant, l’apprentissage a été donc centré sur le formateur, l’apprenant y était par conséquent sujet passif. Par contre, la pédagogie active, dans tout le processus d’apprentissage, privilégie l’activité de l’apprenant.

Historiquement, l’apprentissage (au sens large) était non «didactisé». C’était par initiation, par imitation, par des actions pratiques que les adultes transmettaient des savoirs à leur progéniture. Par cette forme d’apprentissage, les enfants étaient dotés des savoirs utiles à l’entrée dans la vie en société.

La notion de forme scolaire a été développée en éducation par Guy Vincent (1994). La théorie prônée par cet auteur montre que l’école en tant qu’institution de formation garde un contrôle sur les savoirs et la manière de les dispenser; la formation y passe par le discours du maître qui précède l’action ou l’activité de l’apprenant. Bien entendu, ce schéma est reproduit dans d’autres lieux d’apprentissage d’où l’appellation «forme scolaire».

  Contrairement à la pédagogie ancienne (traditionnelle) ou à d’autres «formes scolaires», la pédagogie moderne préconise l’usage des méthodes dites «actives» afin de favoriser l’acquisition et la maîtrise des savoirs par les apprenants; l’usage des méthodes dites «actives» vient donc à la rescousse de l’apprentissage «didactisé» pour aider les apprenants à construire activement leurs savoirs.

Ainsi, en considérant les idées des courants pédagogiques (constructiviste, socioconstructiviste, humaniste, cognitiviste5, etc.) privilégiant l’activité de l’apprenant et les méthodes actives pour enseigner, l’apprentissage scolaire est aujourd’hui défini comme «un processus interne, interactif, cumulatif et multidimensionnel par lequel l’apprenant construit activement ses savoirs» (Vienneau, 2011: 291).

Mais, en réalité, une observation même sommaire de l’institution scolaire permet de constater, comme l’a fait remarquer Tutiaux-Gillon (2008), que l’enseignement est prisonnier de la «forme scolaire». En effet, celle-ci, malgré plusieurs avantages qu’elle présente (ordre progressif de l’enseignement, discours explicite de l’enseignant, etc.), comporte également plusieurs contraintes comme la composition des classes, les attentes des élèves, l’organisation du temps scolaire en périodes de cours, le découpage des savoirs en objets isolés, les modes d’évaluation exigeant le prélèvement régulier des notes…qui obligeraient l’enseignant à privilégier les situations d’enseignement plus centrées sur les savoirs à transmettre que sur la façon dont les élèves peuvent se les approprier. Ainsi, la «forme scolaire» ne semble pas s’accorder avec les «méthodes actives».

Au delà de cette opposition qui semble formelle, on peut dire que les «méthodes actives» s’accordent bien avec la «forme scolaire».Comme le fait remarquer Maulini (2002) «l’école  scolarise tout ce qu’elle s’approprie». Les «méthodes actives» n’échappent pas à cette règle. Dans leur processus d’intégration à l’école, elles vont connaître une «forme scolaire». Les activités d’apprentissage, quand bien même elles visent l’autonomie de l’apprenant, sont organisées par l’enseignant. Elles se déroulent dans l’espace temps scolaire, sont régulées par les pouvoirs organisateurs.

2. Les pratiques d’enseignement de l’histoire

2.1 Les pratiques d’enseignement de l’histoire promues

L’enseignement de l’histoire au secondaire en RDC a connu, depuis 1960, plusieurs réformes curriculaires dont celles de 1982 et de 2005 sont les plus significatives sur le plan méthodologique. Au regard des directives méthodologiques de ces deux programmes, comment l’histoire devrait-elle être enseignée? C’est à cette principale question que nous répondons dans le développement suivant.

L’analyse des prescrits officiels, relatifs à la méthodologie de cette discipline, indique, clairement ou pas, un passage à travers trois modèles didactiques distincts: «exposé-récit», «discours-découverte» et «apprentissage-découverte» (Jadoulle, 2009 et Bouhon, 2011).

Le programme de 1982: les instructions officielles qui accompagnent ce programme national précisent que le cours d’histoire, au niveau de 3e et 4e années secondaires, doit confirmer la formation et approfondir les connaissances données dans les deux premières années du secondaire. Sur le plan méthodologique, ce programme interdit à l’enseignant de recourir à l’exposé dogmatique6 et l’encourage à faire du document le support de la leçon. Il précise aussi que l’enseignant d’histoire doit allier judicieusement la méthode socratique et la méthode expositive.

Au niveau des classes de 5e et 6e secondaires, le programme de 1982 conseille l’usage de cartes, documents, récits, anecdotes… comme le point de départ ou l’illustration d’une leçon. L’enseignant devra entraîner ses élèves à découvrir les lignes de force d’une évolution et les composantes d’une civilisation en exploitant les ressources des autres disciplines (géographie, économie politique…). Il est demandé à l’enseignant d’initier ses élèves à présenter, sous sa direction, certains chapitres du programme sous forme de travaux écrits ou oraux, collectifs ou individuels, analyses, schémas, compte-rendus de lecture, etc. Enfin, le programme note bien que l’enseignant habituera ses élèves à prendre des notes, qu’il contrôlera soigneusement, et s’interdira le cours dicté.

Comme on le constate, ces recommandations officielles semblent privilégier l’exposé de l’enseignant. Celui-ci se fonde sur les travaux, sur les documents ou autre matériel à demander aux élèves en classe ou à domicile qui ne sont pas de nature à les mettre réellement en activité. Un tel enseignement de l’histoire correspond au modèle de l’«exposé-récit» dans lequel, l’enseignant «sélectionne et organise les contenus essentiels sous forme d’un récit synthétique, qui offre à l’élève une vision préétablie du passé» (Jadoulle, 2009: 201). C’est donc un modèle marqué par la prédominance du discours de l’enseignant et le statut illustratif de document. L’«activité» de l’élève étant réduite à l’écoute, à la prise des notes ou à la copie, à la mémorisation et à la restitution du discours de l’enseignant.

Le nouveau programme d’histoire (NPH) de 2005: en cours d’application, ce programme remet en question les recommandations méthodologiques de 1982. Les concepteurs du NPH affirment leur volonté de permettre à l’histoire scolaire d’atteindre les objectifs généraux qui lui sont assignés: accroître la maturité et la créativité des élèves, développer chez eux un esprit scientifique, historique et critique, leur permettre de maîtriser le langage technique…Sur le plan méthodologique, le NPH «est construit selon la logique de la pédagogie moderne, active et participante, qui privilégie l’apprentissage de l’histoire et qui amène, de ce fait, l’élève à jouer le rôle d’apprenti historien. Le NPH a l’avantage de présenter des contenus-matières actualisés et réécrits selon une nouvelle approche «pédagogie des compétences» (p.1).

Remarquons que le NPH introduit beaucoup de nouveautés dont la préférence accordée à la pédagogie active. Ce qui revient à dire que l’exposé de l’enseignant se réduit en faveur de l’activité de l’élève qui s’intéresse, dorénavant, aux traces du passé et à leur analyse directe. D’illustratif, le document devient objet d’observation et d’analyse. Cette nouveauté marque le passage du modèle «exposé-récit» vers le modèle «discours-découverte», une autre manière de préparer et d’enseigner l’histoire. Ici, la logique de découverte prime sur celle de transmission, car apprendre: c’est «découvrir» de manière active et avec intérêt; c’est plus qu’écouter de l’information de l’enseignant, la noter, la mémoriser et la restituer. Cette conception de l’apprentissage modifie le rôle de l’enseignant: il devra bien préciser et choisir ce qui doit être découvert, avec quels documents et en fonction de quels savoir-faire. Même si la construction du récit reste du ressort de l’enseignant, ce récit n’est plus délivré à l’apprenant sous forme dominante d’un exposé, mais «masqué» par des documents. Ceux-ci sont présentés un à un à la classe, sous la direction de l’enseignant et «dévoilent» ainsi progressivement la structure du récit (Bouhon, 2011).

Pour reprendre les termes de Jadoulle (2009): «Outre les objets de savoir, l’enseignement de l’histoire se double d’objectifs de savoir-faire. Ceux-ci visent à équiper l’élève sur le plan du traitement de la documentation et, sur un plan plus fondamental, de lui faire apprendre un certain nombre de postures méthodologiques et épistémologiques typiques de l’historien […]»(201).

Disons que le NPH prône l’activité de l’élève garantie par la découverte, sur base de documents et suivant le discours ou le récit de l’enseignant.

Une autre «nouveauté» de ce programme de 2005 est la promotion de l’«approche par compétences». Ce concept qui est en vogue, depuis les années 1990, dans certains systèmes éducatifs (Belgique, France et Québec) se traduit, pour la classe d’histoire, par la confection d’un nouveau référentiel qui énonce les compétences et les savoirs essentiels que les élèves doivent maîtriser à la fin de leur scolarité. Ces savoirs essentiels ne sont plus formulés en termes de matières ou de périodes à découvrir, mais plutôt en termes de concepts que les élèves doivent être progressivement capables de mobiliser pour comprendre le monde d’hier et d’aujourd’hui.

Ces innovations curriculaires renvoient à un nouveau modèle didactique, l’«apprentissage-recherche» qui s’inspire des théories (socio)-constructivistes qui, depuis les années 1980, ont profondément influencé le domaine éducatif. Ce modèle véhicule une conception de l’apprentissage où ce sont les apprenants qui construisent leur savoir à partir des situations proches de la réalité d’utilisation de ce savoir et, grâce aux interactions entre leurs savoirs préalables et celui des autres. Apprendre, c’est mettre en relation, organiser, élaborer le sens… Didactiquement, le rôle de l’enseignant change: il ne consiste plus à organiser les contenus en un récit préconstruit, mais à sélectionner les savoirs jugés essentiels au regard des situations de transfert, puis à les articuler autour de deux ensembles documentaires: la problématisation et l’enquête.

Il n’est pas inutile de rappeler que ce développement sur les deux programmes d’histoire et sur les modèles didactiques auxquels ils se réfèrent ne relèvent que la dimension prescriptive.

Pour tout dire, dans l’enseignement de l’histoire, les «méthodes actives», comme nous les avons définies plus haut, réfèrent aux deux de trois modèles7 sur l’enseignement de l’histoire proposés par Jadoulle (2009); il s’agit de «discours-découverte» et de l’«apprentissage-recherche». Contrairement au premier modèle de Jadoulle (l’«exposé-récit») consacrant l’autorité de l’enseignant qui sélectionne et organise les contenus essentiels sous forme d’un récit synthétique offrant à l’élève une vision préétablie du passé, ces deux modèles prônent la mise en activité de l’élève. Le modèle de «discours-découverte», par exemple, correspond aux «méthodes actives» comme la «pédagogie de la découverte» et le «travail sur document». Ici, l’élève est amené, par la confrontation active à la documentation que lui offre l’enseignant, à développer des savoir-faire relatifs au traitement des documents et de profiter des savoirs essentiels par le récit de l’enseignant.

Quant au modèle de l’«apprentissage-recherche», lié à l’approche (socio)constructiviste, il réfère plus aux «méthodes actives» comme l’«apprentissage par problème». Ici, l’élève (ou avec ses pairs) apprend en se servant d’un problème comme stimulant pour découvrir les informations dont il a besoin pour le comprendre, et faciliter sa résolution.

2.2 Les pratiques d’enseignement de l’histoire effectives

Il est question ici d’analyser, de manière générale, les pratiques réelles des enseignants d’histoire. Cela permet de mieux appréhender les pratiques des enseignants observés dans le cadre de cette étude.

Downey et Levstick (1991) se sont intéressés aux méthodes que les enseignants utilisent pour l’enseignement de l’histoire dans leur classe. Trois études ont retenu notre attention dans la littérature. L’étude de Wood (1966), dans un sondage réalisé auprès de 420 enseignants d’histoire aux Etats-Unis (Missouri) a constaté que les méthodes les plus couramment utilisées étaient centrées sur l’enseignant, à savoir, le jeu des questions-réponses dirigé par l’enseignant. Le travail de Goodlad (1984) indique que la même tendance persiste. Et enfin, la recherche menée dans l’école allemande par Dumas et Lee (1976) conclut que la méthode basée sur les questions-réponses de l’enseignant est à l’époque la plus utilisée en classe d’histoire.

Cherchant aussi à savoir ce qui se passe en classe d’histoire, Martineau (1999) note que la Direction générale de l’évaluation du programme d’histoire au Québec et au Canada a conclu, après une évaluation en 1988, que 73 % des enseignants questionnés constataient que le programme exigeait des modifications importantes à leur façon d’enseigner qui était encore très traditionnelle. Fort curieusement, 89 % d’entre eux utilisaient régulièrement l’exposé pour enseigner l’histoire.

De leur côté, Lautier et Allieu-Mary (2008), se référant aux études de Colomb (1999) et de Mousseau et Pouettre (1999), montrent qu’au sein des cours dialogués observés, qui constituent la norme, les situations d’apprentissage proposées aux élèves sont essentiellement de l’«écoute, l’identification» ou le «repérage d’un fait, d’une date, d’une notion dans un document et des activités de reproduction». Les situations caractérisées par des opérations intellectuelles, plus complexes comme la «mise en relation et comparaison, hiérarchisation, discrimination, catégorisation, structuration…» sont très rares. Et pourtant, ces dernières opérations, que ces auteurs appellent de «haute tension» intellectuelle, permettent à l’élève de donner du sens et de conceptualiser … L’enseignement de l’histoire est largement dominé par les opérations dites de «basse tension» intellectuelle, c’est-à-dire : écouter, identifier ou repérer un fait, une date, répondre à une question, mémoriser, restituer une information, etc. En d’autres termes, c’est le plus souvent en écoutant l’enseignant parler, en remplissant des pages de cahiers et en répondant à des questions que les élèves apprennent; la démarche d’apprentissage est rarement au centre de la classe d’histoire.

Bien entendu, il y a des écarts entre les recommandations officielles et les pratiques en classe d’histoire. De tels écarts ne sont généralement repérés que grâce aux études basées sur l’observation de classes, lesquelles études fournissent également une image beaucoup plus claire de la dynamique des interactions enseignant-élèves en classe d’histoire.

Comme mentionnées précédemment, les méthodes actives connaissent un regain d’intérêt en éducation avec le constructivisme et l’approche par compétences. Elles sont promues en raison de la rénovation pédagogique ou la professionnalisation de l’école. L’histoire comme matière scolaire n’échappe pas à cette règle. Sa didactique est influencée depuis quelques temps par ce courant rénovateur. On parle de méthodes actives dans le développement des compétences d’historien chez les élèves du secondaire. Mais comme pour tout projet de rénovation en éducation, on constate un écart entre les intentions déclarées et les pratiques de terrain.

Les méthodes actives étant multiréférencielles, il paraît important de nous limiter à quelquesunes qui semblent récurrentes dans la didactique de l’histoire, à savoir: le travail sur documents, l’apprentissage par problème, le jeu de rôles et la pédagogie de découverte. Ce choix s’explique par des contraintes du terrain. Cependant, d’autres études pourront s’atteler aux autres méthodes actives dans le cas de l’enseignement en RDC.

Avant de passer à l’approche méthodologique, rappelons que la problématique à laquelle nous tentons de répondre est relative à la place attendue et effective des «méthodes actives» dans l’enseignement de l’histoire en RDC. Face à cette problématique, la principale hypothèse que nous voudrons mettre à l’épreuve est qu’en dépit des injonctions du NPH, l’enseignement de l’histoire en RDC accorde très peu de place aux «méthodes actives».

3. Méthodologie: définition des indicateurs opérationnalisant le concept de «méthodes actives»

Pour appréhender la façon dont les enseignants utilisent les méthodes actives, nous avons eu recours à quatre approches:

1°) les perceptions de ces méthodes par les enseignants (questionnaire enseignants). 64 enseignants d’histoire de classes de 5e et 6e années secondaires d’enseignement général et technique ont répondu à notre questionnaire comportant 66 items. Ces 64 enseignants appartiennent à 60 écoles secondaires de deux provinces congolaises (la Ville de Kinshasa et le Kasaï-Occidental); en raison de 30 écoles par province;

2°) les perceptions des élèves sur les méthodes utilisées par leur enseignant (questionnaire élèves). 600 élèves de ces mêmes écoles ont répondu à un autre questionnaire constitué de 55 items;

3°) les observations de dix classes d’histoire (grille d’observation);

4°) les entretiens avec les dix enseignants visités.

Les approches 1 et 4 donnent des indications sur la manière dont les professeurs «apprécient» les méthodes actives au sens où elles donnent des indications sur la manière dont ils se déclarent en accord avec ces méthodes. Par contre, les approches 2 et 3 donnent des indications sur la pratique réelle de ces enseignants.

Il importe de préciser que seuls les items et les questions susceptibles d’élucider l’emploi ou non des «méthodes actives» par les enseignants concernés par notre enquête, ont été retenus ici.

Tableau 1: Quelques variables de méthodes actives et leurs indicateurs

Méthodes

Indicateurs

Travail sur documents

Faire travailler les élèves sur les documents historiques (textes, manuels, éléments audio-visuels…).

Pédagogie de la découverte

Faire des visites de musées, de sites historiques…

Apprentissage par problèmes Poser des problèmes à résoudre par les élèves, des énigmes…
Jeu de rôles Théâtralisation de la leçon, exposés sous forme de dialogue entre les élèves.

La grille ci-dessus est conçue pour opérationnaliser le concept de «méthodes actives».

Le concept de «méthodes actives» part de l’idée selon laquelle, c’est par l’«action» (plus précisément de l’élève) qu’on apprend. Cette action peut être intellectuelle, manuelle, etc. Ainsi, pour une vérification de la validité des informations traitées, nous avons retenu ces quelques indicateurs par rapport au concept de «méthodes actives». 

En ce qui concerne l’indicateur «Faire travailler les élèves sur les documents historiques», il se fonde sur l’idée selon laquelle les élèves semontreraient plus actifs, plus attentifs et concentrés quand ils travaillent «librement» sur les textes, manuels ou éléments audio-visuels au point que le rôle de l’enseignant se limite seulement à répondre aux préoccupations des élèves. On retrouve la recommandationd’exercer l’observation, de partir de la «nature» elle-même, de partir donc des «réalités», plutôt que d’un savoir livresque, formel chez de nombreux auteurs de l’Education Nouvelle (Comenius, Montessori, Dewey, etc.). Comenius, par exemple, un des pionniers de la pédagogie moderne,a fait une réflexion sur la manière d’enseigner, et en particulier l’idée que l’enseignant se doit d’éveiller l’intérêt de l’élève. Pour ce faire, Comenius préconise l’utilisation d’images, il défend aussi le rôle des jeux, en particulier des jeux de groupe; selon lui, il n’existe rien de tel qu’apprendre en s’amusant. L’enseignant doit aussi encourager la participation des élèves

Quant à l’indicateur «Faire des visites des musées, des sites historiques…», il traduit une volonté d’ouverture de l’école sur le monde extérieur, généralement promue par les tenants des méthodes actives. Cet indicateur est fondamental aussi dans la mesure où dans tout le processus d’apprentissage, lors des visites des sites historiques ou des musées, les élèves sont en activités incessantes (ils touchent, écrivent, dessinent, parlent, notent, discutent etc.).

L’indicateur «Poser des problèmes à résoudre par les élèves, des énigmes…». L’idée de la résolution des problèmes pour que les élèves puissent apprendre, on la retrouve même chez J. Dewey et chez Rousseau. J. Dewey (cité par Champy et Etévé, 2005: 267) fait remarquer que dans le processus de l’enseignement, «il faut poser des problèmes et des questions d’une actualité incontestable».

En critiquant l’excès du verbalisme de l’enseignant, Rousseau aussi insinue cette idée quand il dit «Ne donnez à votre élève aucune espèce de leçon verbale, il n’en doit recevoir que de l’expérience».C’est par la pratique, par l’action qu’on apprend mieux. Il importe de souligner que cette idée a été source aussi de nombreuses confusions, au point de parler de méthodes actives simplement dès qu’au cours de l’apprentissage les élèves prennent la parole ou sont en mouvement, etc. Ce qui est évidemment fort réducteur et caricatural du concept «méthodes actives».

Pour ce qui est de l’indicateur «jeu de rôles», il est important de souligner que le «jeu de rôles» constitue effectivement une forme d’action. En fait, les jeux de rôles traduisent d’une part l’idée d’action, mais aussi l’idée de partir de réalités vécues. Comme le soulignent Bagès et Martinot (2011:107) «le modèle de rôle donne à l’individu la possibilité d’apprendre les stratégies clés pour atteindre une réussite comparable».

4. Analyse du programme de 2005 en référence aux indicateurs choisis

La lecture attentive du texte du NPH indique plusieurs passages faisant référence à certains indicateurs du tableau ci-dessus. Ainsi, par exemple, au niveau des Compétences de Base 1 (CB1) attendues en 5e année, il est clairement mentionné: «Dans une situation de gestion d’informations, l’élève devra être capable d’analyser les sources selon les critères de fiabilité et de pertinence». Ici, on retrouve bien un indicateur de la «méthode active» que nous avons appelé «travail sur documents». De même, la CB1 de la 6e année qui stipule: «Concernant les sources d’information, l’élève devra être capable de les classer et de déterminer leur importance». Ce qui nous semble être aussi un indicateur de la méthode active «travail sur documents». Une autre indication liée aux «méthodes actives» et plus précisément à la «pédagogie de la découverte» est évoquée au niveau de la CB3 de 5e année qui note: «Concernant l’histoire de l’Europe du XVIIIe siècle à la Deuxième Guerre mondiale, l’élève devra établir le lien entre certains traités et alliances avec les changements profonds intervenus dans les Etats».

On peut également lire, à la 5e CB de 6e année: «Concernant les grandes civilisations anciennes, l’élève devra établir une comparaison des modes de vie». Les indications méthodologiques précisent que: «Le professeur présentera aux apprenants une ou deux civilisations et en dégagera les composantes essentielles. Un accent sera mis sur la comparaison entre les civilisations négro-africaines et les autres. Pour le reste des civilisations, la tâche sera confiée aux élèves pour les exposés suivis de débats». Cela suppose que l’enseignant fera travailler les élèves sur «documents» afin de rechercher, discuter, structurer… les éléments devant faire l’objet d’exposés et de débats en classe.

Quant aux attentes relatives aux «méthodes actives» formulées par le NPH de la RDC, il y a lieu de préciser que la note introductive dudit programme, dans son énoncé fait référence à la pédagogie active comme outil au service de l’apprentissage de l’enseignement de l’histoire, en remplacement de la pédagogie «traditionnelle» dont le principal défaut est la mémorisation. Cette référence nous semble tout simplement allusive, elle n’est ni prescriptive ni suggestive.

Par ailleurs, l’analyse du texte du NPH révèle quelques ambiguïtés. Par exemple, la CB5 de la 5e: alors qu’au niveau de son énoncé il est dit: «L’élève devra être capable d’établir le rapport entre les causes et les conséquences politiques et socio-économiques». Dans la mise en place de la compétence, on remarque que c’est plutôt l’enseignant qui devra «décrire les événements de la Première Guerre mondiale en insistant particulièrement sur l’effort de guerre des Congolais et la participation des Africains».

De même, la CB6 de la 6e année précise : «Concernant le rapport entre les différentes parties du monde, l’élève devra expliquer les mouvements de clivage et de répartition du monde en ensembles politico-économiques ainsi que leurs conséquences». Mais, au lieu que l’enseignant fasse travailler les élèves de manière à les amener à expliquer ce fait historique qui marquera le monde jusqu’en 1990 (fin de la Guerre Froide), les indications méthodologiques vont en contresens: «Le professeur esquissera le développement du monde capitaliste et socialiste en dégageant les conséquences qui en découlent logiquement. Il insistera sur les rapports entre l’Afrique et le reste du monde».

On ne peut pas, d’un côté vouloir développer une compétence de l’apprenant et, de l’autre, laisser la parole à l’enseignant.

Tout bien considéré, le NPH dans son énoncé mentionne la référence aux «méthodes actives» comme orientation de la démarche méthodologique dans l’enseignement de l’histoire en RDC. Le libellé de plusieurs compétences de base le montre bien. Cependant, on constate au niveau des indications méthodologiques, une «survivance» des «méthodes traditionnelles», la place centrale étant toujours accordée à l’enseignant qui reste le «maître du jeu».  

5. Analyse des données de terrain (questionnaires, observations et entretiens) en référence aux indicateurs choisis

En parcourant les différents outils de collecte de données que nous avons confectionnés, nous avons repéré quelques questions ou items qui apportent des informations en référence aux indicateurs retenus. Il s’agit des questions ou items suivants:

Tableau 2: Questions et items relatifs aux «méthodes actives» retenues

Méthode

Question ou item correspondant8

Travail sur documents Item 10 : Nous apprenons à formuler des hypothèses, à les vérifier à l’aide des documents (questionnaire élèves)Item 24: l’analyse régulière de documents historiques augmente le sens critique des élèves (questionnaire enseignant)

Question 12: L’enseignant fait travailler les élèves en groupes ou individuellement sur documents (observations de classes)

Pédagogie de la découverte

Item 57: Visite des musées et des sites historiques (questionnaire enseignants)

Apprentissage par problèmes

Item 15: après avoir posé un problème historique, nous formulons une hypothèse que nous tenterons de vérifier (questionnaire élèves)

Jeu de rôles

Item 8: lors de la leçon, l’enseignant intervient le moins possible pour nous permettre de nous exercer à l’autonomie et aux rôles (questionnaire élèves)

En analysant les réponses données par les enseignants et les élèves à ces items et questions, nous obtenons les résultats ci-après:

Item 8: 54,7% des élèves estiment que dans leurs tâches scolaires l’enseignant intervient le moins possible; ce qui leur permet de faire ce qu’ils pensent et de jouer pleinement leurs rôles alors que 45,3% expriment une opinion contraire.

Item 10: 53 % des élèves disent que c’est très rarement (ou jamais) que l’enseignant les initie à formuler des hypothèses et à les vérifier à l’aide des documents historiques.

Item 15: 54,5 % des élèves témoignent que, très rarement ou jamais, l’enseignant ne leur pose un problème historique et ne leur demande de formuler une hypothèse qu’ils tenteront de vérifier durant la leçon, contre 45,5% qui pensent le contraire.

Item 24: 96,8 % d’enseignants pensent que l’analyse régulière de documents historiques augmente le sens critique des élèves.

Item 57: 80 % d’enseignants déclarent n’avoir jamais organisé des visites de musées ou de lieux historiques pour leurs élèves.

Question 12: à l’observation, un seul enseignant sur dix fait travailler les élèves en sous-groupes sur base de documents. Tous les autres (neuf sur dix) utilisent l’«exposé-récit» comme modèle didactique.

Enfin, lors de nos entretiens avec les dix enseignants, à la question de savoir «quelle(s) méthode(s) ils ont utilisée(s) lors de la leçon que nous avons observée», neuf d’entre eux nous ont répondu, sans ambages, qu’ils ont utilisé la méthode expo-interrogative, c’est-à-dire l’«exposé-récit» selon la catégorisation de Jadoulle. Seul un enseignant a affirmé avoir appliqué la pédagogie active en faisant travailler les élèves sur documents et en sous-groupes, ce qui équivaut au modèle de «discours-découverte». Et à notre question subsidiaire: «La méthode expo-interrogative est-elle conseillée par le NPH?», huit de dix enseignants nous ont prétendument affirmé que la méthode expo-interrogative était bien une méthode active et serait même conseillée par le NPH.

Comme on peut le constater, les réponses des élèves ne semblent pas renseigner clairement sur l’emploi des méthodes actives par leur enseignant. Dans leurs réponses aux items 10 et 15 qui se rapportent respectivement aux méthodes de «travail sur documents» et sur l’«apprentissage par problèmes», plus de 50% des élèves ont exprimé une opinion selon laquelle, leurs enseignants ne recourent pas à cette méthode de «travail sur documents et à celle d’apprentissage par problèmes». Par contre à l’item 8 (relatif à la méthode de jeu de rôles), plus de 60% des élèves ont exprimé une qui indique que la question a été probablement mal comprise. Cette affirmation a été confirmée lors de nos observations de classes et entretiens avec les enseignants.

Quant aux items et questions auxquels les enseignants ont répondu, on remarque que malgré, par exemple, le fait que la quasi-totalité (96,8 %) d’entre eux a affirmé (à l’item 24) que l’analyse régulière de documents historiques augmente le sens critique des élèves; lors des observations de classes, aucun de dix enseignants visités n’a recouru à cet indice de la méthode active «travail sur documents». On l’observe aussi à l’item 57 relatif à la méthode «pédagogie de la découverte», presque tous les enseignants (80 %) déclarent n’avoir jamais organisé des visites musées ou de sites historiques à l’intention de leurs élèves.

Le fait que presque tous les enseignants (huit sur dix) interviewés assimilent la méthode expo-interrogative aux méthodes actives, alors que huit sur dix d’entre eux ont affirmé appliquer déjà le NPH, pousse à croire qu’ils ont un problème de formation pédagogique.

Somme toute, les indications méthodologiques du NPN font prévaloir le recours aux «méthodes actives» pour enseigner actuellement l’histoire au secondaire en RDC, mais dans les faits, seulement très peu d’enseignants recourent à ces méthodes. Les réponses des élèves aux items 10 et 15, les réponses des enseignants eux-mêmes à l’item 57 ainsi que leurs réponses à nos entretiens et les fruits de nos observations de classes vont dans le même sens.

6. Discussion des résultats

Dans le vrai sens pédagogique du concept de «méthodes actives», en général, les résultats de notre étude montrent que les enseignants dispensant le cours d’histoire font très peu usage de ces méthodes. Ce constat a été aussi fait par d’autres chercheurs comme Eyezo’o(1997) et Hassani (2005) respectivement pour l’enseignement de l’histoire au Cameroun et au Maroc. Certaines raisons expliqueraient cet état de choses en RDC :

Il y aurait un problème de formation, de méconnaissance des méthodes actives comme nous l’avons déjà fait remarquer dans notre développement sur l’enseignement au Congo.

-Il y aurait aussi une forte prégnance du modèle «exposé-récit» ou de la «logique de transmission» dans les conceptions pédagogiques et dans les pratiques de classe des enseignants d’histoire de la RDC. Pour reprendre Tutiaux-Guillon (2008), disons que l’enseignant d’histoire congolais confond encore la logique d’exposition des savoirs et la logique d’apprentissage. Ce qui justifierait le peu de place accordée aux méthodes actives dans leurs interactions en classe. Quand bien même ils recourent aux documents, ce n’est que pour appuyer le récit de l’enseignant, comme le dit si bien Jadoulle (2009).

-Enfin, il se poserait les problèmes tels que le manque de manuels scolaires et des autres supports didactiques adaptés au NPH, l’insuffisance de conditions matérielles et le surpeuplement des classes, l’absence de musées ou sites historiques proches et accessibles voire l’abondance des matières à enseigner semblent «condamner» l’enseignant d’histoire de la RDC à utiliser des pratiques qui tendent à l’énoncé de savoirs positifs, ne laissant que brièvement la parole et l’initiative de réflexion aux élèves, alors que les textes officiels recommandent que ces derniers y participent. Il y a donc un fossé qui sépare les intentions du NPH et les pratiques de terrain quant à l’usage des «méthodes actives» dans les écoles concernées par notre enquête.

Notre analyse des méthodes actives dans l’enseignement de l’histoire selon le nouveau programme présente certaines limites. Il s’agit en premier lieu de la taille de l’échantillon. Notre enquête n’a concerné que deux de onze provinces que compte la RDC: la province (ville) de Kinshasa et celle du Kasaï-Occidental. La recherche a touché 64 enseignants et 600 élèves du secondaire. Pour des recherches ultérieures, il serait intéressant d’étendre le champ d’investigation et l’échantillon.

La deuxième limite réside dans le choix du niveau d’études. Nous avons exclu du champ de notre enquête, l’enseignement de l’histoire aux niveaux primaire et supérieur pour deux principales raisons. Le cours d’histoire actuel au secondaire en RDC offre l’avantage d’être uniformément enseigné dans toutes les classes quel que soit le régime de gestion de l’école. De plus, ce cours fait objet d’un Examen d’Etat (au niveau national) au terme de la dernière année des études secondaires.

Troisièmement, le fait que l’observation des classes et les entrevues n’aient été effectuées que sur dix de soixante écoles concernées par notre enquête et le fait aussi que nous n’ayons pas interviewé les élèves sur ces mêmes activités d’enseignement ou d’apprentissage sont autant d’autres facteurs qui limitent la portée de nos résultats.

Quatrièmement, enfin, l’observation s’est déroulée dans un espace-temps bien déterminé. Elle n’est pas diachronique. Rien ne permet d’affirmer que les mêmes enseignants ne recourent pas aux «méthodes actives» à d’autres moments de leur travail; comme le souligne Bru (1992) dans «Les variations didactiques dans l’organisation des conditions d’apprentissage». Autrement dit, l’enseignant peut être emmené à utiliser plusieurs méthodes didactiques en fonction de contraintes et du contexte de travail.

7. Conclusion

En épilogue, nous voulions questionner l’usage des méthodes actives dans l’enseignement de l’histoire à l’école secondaire en RDC. Une clarification conceptuelle nous a amené à retenir quatre indicateurs de«méthodes actives» dans l’enseignement de l’histoire dans ce pays, à savoir: le travail sur documents, la pédagogie de la découverte, l’apprentissage par problèmes et le jeu de rôles. Les documents de référence (NPH) y font allusion, mais le travail sur le terrain nous a amené à faire un autre constat. Il y a un très faible usage des dites méthodes dans les pratiques de classe. Plusieurs hypothèses ont été avancées qui tiendraient à la formation et aux représentations pédagogiques des enseignants, ainsi qu’aux conditions matérielles et organisationnelles de l’enseignement en RDC. Notre recherche ne nous a pas permis de les éprouver.

Il est toutefois souhaitable que d’autres études soient menées sur l’enseignement de cette même discipline dans les autres classes du secondaire (de la première jusqu’en 4e année) et même aux niveaux primaire et supérieur. L’intérêt porté par les enseignants et les élèves congolais aux manuels sur l’enseignement et l’apprentissage de l’histoire peut ouvrir à des recherches sur la production et l’utilisation de ce matériel en classe d’histoire. D’autres travaux pourraient également s’intéresser aux variables latentes, comme la résistance des enseignants au changement de pratiques pédagogiques, ou encore l’impact des décisions politiques sur la réussite des nouveaux programmes. Comme on le voit, il y a là matière à quelques travaux d’historiens et de pédagogues.

Au vu de ce qui précède, nous faisons quelques suggestions à l’intention des enseignants, de leurs formateurs et des responsables scolaires.

– Suggestions aux enseignants d’histoire des écoles secondaires en RDC

Il serait mieux que l’application du NPH passe par l’adoption de la pédagogie active qui met réellement les élèves en activité en favorisant la compréhension, l’analyse, l’explication, l’interprétation des faits historiques au détriment de modes transmissifs qui ne facilitent pas l’épanouissement des jeunes et des citoyens actifs de demain. Cette application du NPH devrait s’accompagner aussi d’une bonne organisation et animation des situations d’enseignement-apprentissage. Ce faisant, il faut que l’enseignant connaisse bien le contenu à enseigner afin de déterminer les savoirs ou les compétences à développer dans chaque leçon et cela, en tenant compte de la structure de la leçon et des finalités du cours visées.

– Suggestions aux formateurs des enseignants d’histoire (professeurs des ISP)

Les résultats de notre étude montrent que les enseignants d’histoire dans leur grande majorité, confondent la logique d’enseignement à celle d’apprentissage et, de ce fait s’écartent de la méthodologie conseillée par le NPH. Ainsi, il serait nécessaire que la formation initiale des enseignants d’histoire soit revue de manière à prendre appui sur un solide savoir conceptuel curriculaire. Cette formation devrait revaloriser les cours psychopédagogiques, en l’occurrence la didactique spéciale de l’histoire (confier le cours à des enseignants professionnels, compétents et expérimentés), il faudrait intensifier l’initiation des étudiants aux pratiques réflexives dès la deuxième année et renforcer le rôle des conseillers et inspecteurs de stage et revaloriser le séminaire de stage.

Du reste, il importerait de privilégier, dans la formation des enseignants, les pratiques novatrices (les compétences émergentes) qui orientent la formation initiale, voire continue, qui développent l’esprit critique, qui font appel à la recherche et mettent l’accent sur la place centrale de l’élève dans la construction de ses savoirs en classe. Dans le même ordre d’idées, il est souhaitable d’envisager la vulgarisation des résultats des recherches par la rédaction et la diffusion de manuels scolaires ainsi que de fichiers pédagogiques adaptés au niveau de l’enseignement secondaire. 

– Suggestions aux directions d’école et inspections scolaires

Le soutien à la mise en œuvre des nouveaux programmes ne devrait pas, bien entendu, se limiter à la formation des enseignants, mais, il serait plus avantageux d’intégrer également des activités orientées vers le personnel d’encadrement comme les directeurs des écoles et inspecteurs. Ainsi, ces deux instances devraient faciliter la tâche aux enseignants en leur fournissant le texte des programmes du cours d’histoire, des manuels et autres supports didactiques nécessaires et conformes à ces programmes. Elles devraient aussi encourager la formation continue, à un rythme régulier, des enseignants d’histoire et motiver ces derniers à l’usage des méthodes actives (travail sur documents, visites des musées ou sites historiques, apprentissage par problèmes, jeux de rôles, etc.).

– Suggestions au Ministère de l’Education Nationale

Le lancement d’une réforme des programmes requiert la mobilisation à la fois d’énormes ressources humaines, matérielles et financières. Ainsi, pour espérer la réussite d’une nouvelle réforme des programmes d’histoire, il serait souhaitable:

– d’associer les enseignants (ou leurs représentants) d’histoire aux travaux de la commission et tenir compte de leur contribution en tant qu’acteurs de terrain;

– de vulgariser, suffisamment et dans les délais raisonnables, les nouveaux programmes par la publication de manuels et autres supports didactiques adéquats;

– de former les enseignants à la nouvelle méthodologie et d’organiser des ateliers permanents des rencontres en leur faveur;

– d’expérimenter les nouveaux programmes, pendant une durée réaliste, dans les écoles pilotes à travers toutes les provinces du pays.

Bibliographie

– Alexandre, D. Les méthodes qui font réussir les élèves, Issy-les-Moulineaux Cedex, ESF, 2011.

– Altet, M. «Les Sciences de l’Education approche pluridisciplinaire: l’analyse plurielle d’une séquence d’enseignement-apprentissage» dans: Marcel J.-L. (dir.), Les Sciences de l’Education: des recherches, une discipline, Paris, L’Harmattan, 2002.

Bagès, C. et Martinot, D. (dir.). Qui inspire et qui menace les élèves : le rôle de l’explication de la réussite des modèles, Paris, PUF, 2011.

– Berbaum J. L’action pédagogique dans l’enseignement du second deg, Paris, Fernand Nathan, 1971.

– Bouhon, M. «Comprendre les prises de position des enseignants au regard des paradigmes successifs de la discipline scolaire : le cas de l’enseignement de l’histoire». Colloque international INRP, 16-18 mars 2011.

Bouhon, M. Quelles stratégies d’enseignement en classe d’histoire ? Les représentations des enseignants d’histoire du secondaire dans contexte des réformes pédagogiques actuelles. Dans J.-F. Cardin, M.-A. Éthier et. Meunier A. (dir.), Histoire, musée et éducation à la citoyenneté, Québec, Multimondes, 2009, pp. 29-55.

Bru, M. Les méthodes en pédagogie, PUF, Paris, 2006.

– Bru, M. «Pratiques enseignantes: des recherches à conforter et à développer» dans Revue Française de Pédagogie, n° 138, janvier-février-mars, 2002, pp. 63-73.

– Bru, M. (dir.). «Les pratiques enseignantes: contributions plurielles» dans Les Dossiers de Sciences de l’Education, n° 5, Toulouse, Presses Universitaires de Mirail, 2001.

– Bru, M.Les variations didactiques dans l’organisation des conditions d’apprentissage, Toulouse, Editions Universitaires du Sud, 1992.

– Carette, V. «Les caractéristiques des enseignants efficaces en question » dans Revue Française de Pédagogie n° 162, janvier-février-mars, 2008, pp. 81-93.

– Champy, P. et Etévé, C. (dir.). Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, Paris, Retz, 2005.

– Clanet, J. «Pratiques d’enseignement et performances scolaires dans les classes à effectif fortement réduit» dans Les pratiques d’enseignement. Entre innovation et tradition, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 29-49.

– Cros, F. et al.«Les réformes curriculaires par l’approche par compétences en Afrique», AFD Document de travail n° 97, juin, 2010.

Dioum, A. «Pertinence ou non des options pédagogiques dans le programme de 1977» dans Historiens et Géographes du Sénégal, n° 3, avril 1988, pp. 47-51.

– Downey, M. &Levstick, L.«Teaching and Learning History» dans J. Shaver, Handbook of Research on Social Studies Teaching and Learning, New York, Macmillan, 1991, pp. 400-411.

– Ferrer, F., L’école moderne, Bruxelles, Couleur livres, 2009.

– Foulquié, P. Dictionnaire de la langue pédagogique, Paris, PUF, 1978.

– Hameline, D. et al.L’école active: textes fondateurs, Paris, PUF, 1995.

– Ibe, «L’approche par compétences en Afrique francophone: quelques tendances» dans: Working Papers on Curriculum Issues nº 7, Geneva, May, 2008.

– Jadoulle J.-L.«Du récit du professeur au récit construit par la classe? Regard sur l’évolution de l’histoire enseignée à l’école secondaire en Belgique francophone» dans: Georges Ph. (dir.), Malmedy. Art & Histoire. 20ème anniversaire, Liège-Malmedy, 2009, pp. 197-225.

– Jain, J.Pour des pédagogies actives. Avec ou sans l’école ? Vigneux, Matrice, 2003. 

– Lautier, N. et Allieu-Mary, N. «La didactique de l’histoire» dans Revue Française de Pédagogie, n° 162, 2008, pp. 95-131.

– Marcel J-F. «Nouveaux dispositifs pédagogiques, projets innovants et transformations des pratiques d’enseignement d’une professeure débutante» dans Les pratiques d’enseignements. Entre innovation et tradition. Paris, L’Harmattan, 2008, pp.195-223.

– Martineau R. L’histoire à l’école, matière à penser, Paris-Montréal, L’Harmattan, 1999.

-Maulini, O. et Perrenoud P. Questionner pour enseigner et pour apprendre : le rapport au savoir dans la classe, Issy-les-Moulineaux, ESF, 2005.

-Maulini, O. La scolarisation des technologies. Questionnement didactique, questionnement Pédagogique, 2002.

-Mialaret, G. Histoire et actualité des méthodes pédagogiques, Paris, ESF, 1982.

Rey B. & Khan S. «Injonctions politiques et pratiques enseignantes: le cas de la mise en place des cycles en Belgique et au Québec» dans: Les pratiques d’enseignement. Entre innovation et tradition, Paris, L’Harmattan, 2008, pp.75-96.

– Stordeur J. Enseigner et/ou apprendre. Pour choisir nos pratiques. Bruxelles, De Boeck, 2006.

– Tardif, M. et Lessard, C.Le travail enseignant au quotidien, Bruxelles, De Boeck, 1999.

– Tehio, V. «Politiques publiques en éducation : l’exemple des réformes curriculaires» Actes du séminaire final de l’étude sur les réformes curriculaires par l’approche par compétences en Afrique, 10-12 juin 2009.

– Tutiaux-Guillon, N. « Interpréter la stabilité d’une discipline scolaire : l’histoire-géographie dans le secondaire français » dans : F. Audigier& N. Tutiaux-Guillon (éd.) Compétences et contenus. Les curriculums en question, Bruxelles, De Boeck, 2008, pp. 117-146.

– Verdelhan-Bourgade M. « Réflexion sur l’approche par compétences et sa pertinence pour l’enseignement du français langue seconde dans Le français langue seconde un concept et des pratiques en évolution, De Boeck Université, 2007, pp. 110-123.

-Vienneau, R. Apprentissage et enseignement. Théories et pratiques, Gaëtan Morin, Québec, 2011.

-Vincent, G. (dir.). L’éducation prisonnière de la forme scolaire, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1994.

 

Notes

1 Par Lambert EKANGA LOKOKA, Professeur Associé à l’Institut Supérieur Pédagogique de Kananga, dans la province du Kasaï-Occidental en République démocratique du Congo.

2 Ce concept a été développé dans le cadre des recherches de notre thèse doctorale intitulée « L’enseignement de l’histoire à l’école secondaire en République démocratique du Congo. Intentions d’une Réforme et pratiques de terrain »  pp. 74-111» menée entre avril et juin 2009 auprès de 600 élèves et 64 enseignants d’histoire de classes de 5e et 6e secondaires en RDC. Cette thèse fut soutenue le 13 février 2012 à l’Université Libre de Bruxelles.

3 Le terme «codifié» signifie ici que les parties du tout forment un ensemble cohérent, formalisé et communicable, qui, appliqué correctement, produit le même résultat. C’est ainsi qu’une méthode pédagogique exclut toute improvisation et tend à rechercher les conditions optimales d’enseignement.

4 Les GBEN, GFEN et d’autres groupes nationaux forment depuis 2001 un réseau international: le LIEN (Lien international de l’éducation nouvelle), résurgence de la Ligue internationale pour l’Education nouvelle créée en 1921.

5Selon Maulini et Perrenoud (2005), ces concepts font référence à des activités qui doivent susciter l’engagement des apprenants et leur faire vivre des expériences modifiant durablement leurs représentations et l’organisation de leurs connaissances.

6Il convient de mentionner que le cours d’histoire, dans le programme précédent (celui de 1962), reposait essentiellement sur cette méthode.

7 Il y a une forte similitude entre la distinction que fait Jadoulle sur les trois modèles sur l’enseignement de l’histoire (exposé-récit, discours-découverte et apprentissage-recherche) et la typologie sur les quatre principaux modèles d’intervention éducative (MIE) faite par Lenoir et al. (2001 :12). Il s’agit précisément du MIE1 appelé « pédagogie de la révélation » qui correspond au modèle « exposé-récit », le MIE3 appelé « pédagogie de la découverte ou du dévoilement » qui s’apparente au modèle « discours-découverte » et le MIE4, la « pédagogie interactive, de la recherche » comparable à l’ « apprentissage-recherche ».

8 Comme nous venions de le noter, cette numérotation des items et questions correspond à celle des questionnaires et des observations de classe telle qu’elle figure dans notre dissertation doctorale déjà évoquée.

Laisser un commentaire