Histoire & Enseignement

l'Association Belge des Professeurs d’Histoire d’Expression Française

Ceb et Histoire – La dérive des compétences –  par Nico Hirtt – Appel pour une école démocratique

Les questions proposées aux élèves pour s’exercer en préparation du CEB, notamment en histoire, témoignent de l’indigence dramatique qui a résulté de l’approche par compétences.  Elles illustrent combien cette approche est contraire à la pédagogie constructiviste dont elle se réclame pourtant.

Dans Le Soir de ce jeudi 30 avril, nous retrouvons les questions de la série « Objectif CEB ». Remarquons au passage que si on avait voulu angoisser les enfants face à l’échéance de leur examen de fin de primaire, on n’aurait pas pu mieux s’y prendre que ne l’ont fait nos médias. Plus possible d’ouvrir un journal, d’allumer la télévision ou la radio, de faire ses courses… sans être assailli d’offres destinées à « préparer un CEB sans stress ». « Surtout ne stressez pas : grâce à nous, vous avez toutes les chances de réussir »… L’enfant qui, jusque là, voyait arriver le test avec sérénité, finira bien par s’inquiéter face à ce déluge de préparations destinées à… le rassurer.

Mais passons. Ce qui m’a interpellé ce matin, en lisant les questions du thème « Histoire » dans Le Soir, c’est l’illustration du délire où nous a plongés l’approche par compétences.

Par exemple, une des questions consiste à indiquer, sur une « ligne du temps », la vie de quatre personnages : Marie de Hongrie, Charles Quint, Marie de Bourgogne et Charles le Téméraire. Rassurez-vous, on n’attend pas des enfants qu’ils sachent les dates de naissance et de mort de ces quatre individus. Ça, c’eut été du délire à la mode ancienne, quand le cours d’histoire consistait (parfois) à mémoriser des listes de dates. Non, ici, le « portfolio » présentait une courte biographie des quatre personnages, y compris les années de leur naissance et de leur décès (ou une information du genre : « …est décédée la même année que… »). Sur la ligne de temps, les vies de nos quatre célébrités locales sont indiquées par quatre zones grisées où l’enfant n’a plus qu’à noter les initiales du personnage correspondant.

Mais que teste-t-on de la sorte ? La connaissance de l’Histoire ? Non. La compréhension des contextes politiques, sociaux ou culturels, des causalités et des contradictions qui font cette Histoire ? Encore moins. Ce test permet seulement d’évaluer la capacité d’extraire une information d’un texte et la capacité de positionner un point sur un axe. Il s’agit d’un double test de lecture et de mathématique élémentaires. Mais pas d’un test d’Histoire.

La plupart des autres questions sont à l’avenant. Par exemple, on montre deux photos prises dans les rues de Bruxelles à l’annonce de la capitulation allemande en 1945. Sur base de ce « portfolio », les élèves doivent se prononcer par rapport à diverses affirmations en répondant : « oui », « non » ou « la photo ne permet pas de se prononcer ». Exemple de proposition : « on pouvait éclairer les rues » (je suppose que c’est « oui », parce que sur certaines photos on voit des lampadaires). Ou : « personne ne circulait à vélo » (sur une photo on voit un homme à vélo !). Ou encore « la dame qui lit le journal est heureuse » (mais on ne voit pas son visage, donc la photo ne permet pas de se prononcer). Tout cela constitue au mieux un test d’observation (regarder attentivement une photo) et de logique (si je vois un vélo, il n’est pas exact que « personne ne circulait à vélo »). Mais on les présente comme des questions sur le thème « fin de la deuxième guerre mondiale ».

Le journal « Le Soir » n’est pas en cause. C’est bien ainsi que les programmes imposent aux enseignants de travailler depuis la réforme de l’approche par compétences. Les savoirs, historiques ou autres, ne sont plus des objectifs d’apprentissage, ce ne sont plus que des prétextes pour exercer des compétences générales.
Je comprendrais fort bien (et applaudirais) si, dans une démarche de construction de savoirs, un enseignant donnait à ses élèves des portfolio et des questions comme ceux que je viens d’évoquer. Le travail sur les images et les textes de référence, le questionnement y relatif, sont alors des outils, des instruments, pour faire découvrir des faits, des relations ou des contextes historiques. Mais ici, on renverse complètement cette logique.

Conclusion. L’approche par compétences ce n’est pas du constructivisme, c’est du constructivisme à l’envers !

Categories: Actualité, Débats

One Response so far.

  1. Blanchart Luc dit :

    Cher Monsieur Hirtt,

    Tout-à-fait d’accord avec vous.
    Le CEB tel que pensé aujourd’hui, ne permet nullement d’évaluer quoi que ce soit en Histoire : ni les compétences spécifiques, ni (encore moins) les connaissances (gros mot s’il en est !!).
    Il s’agit juste (!) d’un exercice de lecture, à l’image de ce qui, bien souvent, malheureusement, est fait dans les classes. Lorsque j’ai intégré l’école normale (en septembre 2000), j’ai été stupéfait de voir comment un psychopédagogue réduisait les leçons d’Eveil (historique) à des séances de lecture. Force est de constater, après 15 ans d’expérience en enseignement supérieur, que la situation n’a absolument pas évolué : malgré la bonne volonté de nombreux insituteurs/trices (je tiens à le souligner), l’enseignement de l’histoire se limite bien trop souvent à la lecture de dossiers et à compléter des textes lacunaires ! On est bien loin des objectifs prescrits par les textes officiels (décret missions, socles de compétences et programmes). Mais c’est effectivement l’objet du CEB en la matière. Voilà donc 15 ans que, à mon niveau, j’essaie de faire changer la perception de l’enseignement de l’histoire à l’école primaire. Mais force est de constater que ce n’est pas chose aisée, tant les habitudes sont profondément ancrées. Et puis, il faut reconnaître que les instituteurs n’ont pas la formation requise pour dispenser un véritable enseignement historique. A l’école normale, on n’a jamais qu’un cours de 75 heures sur 3 années pour, non seulement revoir l’essentiel des matières à enseigner (d’autant plus important que certains étudiants n’ont pas suivi de cours d’histoire en secondaire, venant de l’enseignement technique,voire professionnel), mais également pour les initier à la didactique de l’enseignement de l’histoire. C’est manifestement très insuffisant ! Par ailleurs, nous sommes confrontés à l’absence d’outils didactiques dignes de ce nom. Les (pseudo) manuels existants se limitent à donner une série d’activités plus ou moins bien pensées, mais cela ne permet nullement de pallier la faiblesse de la formation des enseignants. Et, quitte à paraître pessimiste, je me permets de souligner que le décret Marcourt ne va nullement améliorer la situation. Désormais, les cours de formation historique sont intégrés dans une unité d’enseignement avec les cours de formation géographique et scientifique. Avec,à la clé,l’ « invitation » à prévoir des évaluations intégrées qui porteront sur des compétences, encore une fois, génériques, transversales, et dilueront encore un peu plus les spécificités de chaque discipline d’Eveil. A ce stade, je ne suis vraiment pas optimiste quant à l’avenir de la formation de nos enfants dans ces domaines, quoiqu’en disent les déclarations officielles qui ne sont, selon moi, que poudre aux yeux.

    Luc Blanchart
    Docteur en Histoire
    Maître Assistant en Histoire
    HELHa – Catégorie pédagogique

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