Tamara Erde s’est promenée avec sa caméra à travers plusieurs écoles israéliennes et palestiniennes, pour montrer comment les programmes scolaires des unes et des autres abordaient l’histoire nationale. Elle présentera son documentaire This is my land, le jeudi 1er octobre 2015 à 20h au CCLJ. Rencontre.
Comment l’idée vous est-elle venue de suivre des écoles israéliennes et palestiniennes dans leur programme d’histoire ?
Tamara Erde : Nelson Mandela a déclaré que l’éducation était la seule à pouvoir changer le monde. Mais si l’on prend le point de vue opposé, n’est-elle pas la seule aussi à permettre le statu quo ? Pour moi, il s’agit d’une question fondamentale au regard du conflit israélo-palestinien. Comment le système d’éducation israélien contrôle la narration de l’histoire nationale et l’histoire du conflit, et comment le système d’éducation palestinien tente de gérer les questions complexes d’identité après des années d’occupation. Quelques années seulement après mes études, j’ai été confrontée à différents récits, et j’ai compris à quel point l’histoire de mon pays qui m’avait été enseignée à l’école était partielle. Je suis née et j’ai grandi en Israël, j’ai suivi le système éducatif israélien depuis mon plus jeune âge et jusqu’à mes études supérieures, avant d’entrer à l’armée. Ce n’est que plus tard, pendant mon service militaire, que j’ai commencé à douter et à m’interroger sur les faits, l’histoire et les valeurs qui m’avaient été transmises.
Que s’est-il passé ?
TE : Pendant mon service militaire, en pleine seconde intifada, en 2002, j’ai pu voir de près les méthodes de l’armée israélienne dans ses opérations contre les Palestiniens. Cela a été pour moi le déclencheur, même s’il m’aura fallu quelques années encore pour me rendre compte combien j’avais été aveugle par rapport à ce qui se passait « de l’autre côté » et sur l’histoire de mon pays. Alors que je travaillais sur différents films et projets en lien avec le conflit et la société israélienne, j’en suis arrivée à me demander comment il se pouvait que je n’aie jamais douté auparavant. Comment j’avais pu, moi comme une large majorité de jeunes Israéliens encore aujourd’hui, être aussi motivée pour faire l’armée ? Ne jamais avoir rencontré un Palestinien en face ? Ne rien savoir sur 1948 et les conséquences de la création d’Israël sur le peuple palestinien ? Cela m’a bien sûr ramenée à mes années d’école. A l’admiration que j’avais pour les récits héroïques des milices sionistes, qui s’étaient battues pour conquérir le pays. A la très vive émotion ressentie pour la tragédie des camps de concentration en Pologne, et aux douloureuses commémorations pour les soldats israéliens morts au combat. Des événements qui m’avaient forgée enfant et qui me paraissaient naturels et évidents. Avec cette fierté partagée et le sentiment intense d’appartenir à cet Etat, à sa douleur et à son héritage. Tout cela faisait partie d’une enfance et d’une éducation ordinaire. J’ai donc voulu revenir dans ce film sur ce système éducatif, avec mon regard actuel, et après avoir choisi de quitter Israël, pour créer mes films en lien avec l’histoire d’Israël, mais en tant qu’étranger permanent vis-à-vis d’un pays qui a longtemps été le mien.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans ce projet ?
TE : Côté israélien, j’ai dû obtenir l’autorisation du ministère de l’Education pour suivre chaque professeur, et j’ai essuyé de nombreux refus, notamment pour filmer des opinions de gauche. J’ai donc dû changer d’enseignants à plusieurs reprises, jusqu’à recevoir les autorisations. Côté palestinien, le ministère s’est montré plus ouvert et plus souple. J’ai pu filmer les professeurs de mon choix. Ca été plus difficile, en revanche, d’obtenir l’autorisation de filmer dans les écoles du camp de réfugiés, qui sont sous la direction de UNRWA, mais j’ai finalement obtenu là aussi leur collaboration.
L’éducation donnée dans les écoles a-t-elle sa part de responsabilité dans la situation actuelle ?
TE : Une solution de paix et la possibilité de vivre ensemble en respectant l’autre n’est possible qu’en changeant les choses de l’intérieur, et certainement pas grâce à des conditions imposées par la communauté internationale. Ce n’est que par le biais de l’éducation, des changements médiatiques, des relations personnelles, culturelles et économiques qu’une cohabitation pacifique sera possible. Il y a beaucoup de barrières et de peurs liées au passé à surmonter, mais il faut encourager les initiatives des deux côtés, pour que les idées humanistes et pacifistes remplacent les idéologies religieuses et victimaires. Je reste optimiste, et je pense que l’éducation a un grand rôle à jouer pour favoriser la rencontre et abattre les murs.
Votre film a-t-il été projeté aux élèves ? Avec quelles réactions ?
TE : Le film a été projeté en France et aux Etats-Unis, et suivi de discussions avec les élèves. Les débats ont été particulièrement enrichissants, et les élèves se sont montrés très ouverts, sans choisir de camp, ni entrer dans l’émotionnel lié au conflit, mais plutôt en s’interrogeant sur la manière d’enseigner et d’étudier l’histoire. Ils ont aussi évoqué les sujets tabous et ce qu’il fallait faire pour avancer. Ces rencontres m’ont énormément appris et émue, et j’espère poursuivre cette expérience en projetant mon film bien sûr dans les écoles israéliennes et palestiniennes.
Propos recueillis par Géraldine Kamps
« This is my land » Film documentaire réalisé par Tamara Erde (Israël 2013, 89 min, VO) Jeudi 1er octobre 2015 à 20h Infos réservations : 02/543.02.70 ou info@cclj.be
Article paru dans « Regards n°825 – septembre 2015 » et reproduit avec l’aimable autorisation de cette revue.