Histoire & Enseignement

l'Association Belge des Professeurs d’Histoire d’Expression Française

Le référentiel des cours d’histoire manque sa cible

« La finalité fondamentale du cours d’histoire est d’aider le jeune à se situer dans la société et à la comprendre afin d’y devenir un acteur à part entière. », Compétences terminales et savoirs requis en Histoire ; humanités générales et technologiques. Ministère de la Communauté française, 1999.

Et bien pour moi le but a été manqué ! A 18 ans je ne comprenais pas l’actualité. Puisque j’étais bonne élève et que j’ai rarement raté une interrogation, j’en ai conclu que j’avais perdu mon temps à l’école et je peux vous dire que la pilule n’est toujours pas passée ; j’ai toujours ce sentiment amer d’avoir perdu du temps! Quand j’en ai parlé, on m’a dit que l’enseignement général n’avait pas vocation à nous expliquer la société dans laquelle nous vivons mais à nous préparer à l’université. Effectivement l’enseignement général m’a bien préparée à l’université, mais je reste convaincue que j’étais en droit d’attendre autre chose de cet enseignement : qu’il m’explique le fonctionnement de nos sociétés humaines et leurs interactions.

Certains m’ont dit et certains diront peut-être encore que c’est le rôle des parents d’expliquer le fonctionnement de notre monde aux enfants. D’une part, c’est certainement ce genre de pensées qui maintient notre système scolaire dans le haut du classement des plus inégalitaires (donner la responsabilité de l’apprentissage scientifique aux parents) et, d’autre part, lorsqu’on retire un enfant du milieu familial durant 8h par jour 5 jours par semaine, apporter des bases solides de compréhension du monde moderne à cet enfant me paraît être le minimum qu’on doive revendiquer.

De toute façon le référentiel du cours d’histoire est clair concernant l’objectif qu’il poursuit et cet objectif correspondait à mon attente, alors pourquoi n’y est-il pas parvenu ? Peut-être parce que je suis sortie en 1999 et que donc j’étais sous le joug d’un ancien référentiel ? Après avoir lu le référentiel actuel, je ne crois pas qu’il ait résolu le problème que j’avais constaté avant 1999! Si je prends la peine d’écrire, c’est parce que depuis quelques années je suis convaincue que la solution existe ; il existe un programme qui permettrait « d’aider le jeune à se situer dans la société et à la comprendre afin d’y devenir un acteur à part entière » et il me paraît plus qu’urgent d’atteindre cet objectif.

On nous a enseigné une histoire découpée en tranches : Préhistoire la première année, Antiquité la deuxième année, Moyen-âge la troisième année, et ainsi de suite. Ca ne répondait pas à mon besoin de comprendre le monde et la plupart de ces cours ne m’intéressaient pas, même si j’obtenais de bonnes notes. Je pensais donc, légitimement, que je n’aimais pas l’histoire. C’était une erreur ! L’histoire me passionne à présent tant elle me permet de comprendre le monde actuel et me donne des outils pour essayer de le faire avancer mais c’est une autre approche de l’histoire que celle par tranches qui m’a permis de comprendre mieux le monde actuel.

Le premier cours d’histoire qui m’a réellement apporté un plus en termes de compréhension de l’être humain et de notre société s’intitulait « Aspects géographiques de l’action de l’Homme sur l’environnement physique », cours à option que j’avais choisi en dernière année de mes études de bioingénieure à l’ULB. On y voyait l’histoire de l’exploitation de l’environnement par l’Homme depuis -10000 ans jusqu’à aujourd’hui.
Le deuxième cours d’histoire qui m’a aidée à comprendre notre société parcourait l’histoire de l’autorité depuis les Grecs anciens jusqu’à aujourd’hui ; ce cours faisait partie du cursus de la deuxième année des études d’éducateur spécialisé à l’Institut J.-P. Lallemand et était basé sur le livre « La crise de la culture » de Hannah Arendt.
Depuis, j’ai acheté des livres sur l’histoire des mathématiques (grosse erreur de ne plus enseigner l’historique des mathématiques en secondaire car il nous est impossible d’avoir une idée des limites de ce que l’on connaît, mais c’est un autre sujet), l’histoire de la physique, l’histoire de la chimie et l’histoire des religions.
Je soulignerai aussi que, lors d’une conférence sur le thème des migrations donnée dans l’école où j’exerce actuellement, Anne Morelli a choisi de retracer l’histoire des migrations en Belgique pour déconstruire l’idée que le peuple qui était là le premier a tous les droits sur le territoire (je n’ai malheureusement pu écouter que quelques minutes de l’intervention d’Anne Morelli, j’espère donc avoir bien compris l’idée de la conférence, ou au moins l’une des idées).
Enfin, j’ai suivi cette année un cours concernant l’histoire de l’enseignement en Belgique, à l’ULB, dans le cadre de l’agrégation. Ce cours m’a donné un éclairage précieux sur notre système scolaire.

Tous ces cours, tous très enrichissants, étaient construits à partir d’un seul thème, exploré depuis les temps anciens jusqu’à aujourd’hui. Même si les détails se sont effacés, ces cours ont significativement augmenté ma compréhension de notre société actuelle.

Si vous voulez que les jeunes comprennent le monde actuel et soient acteurs du progrès, enseignez-leur l’histoire par thèmes !

Une année pourrait être consacrée à l’histoire de l’impact de l’homme sur l’environnement physique. Au terme de cette année l’élève serait donc capable de comprendre toute l’actualité autour des changements climatiques et l’urgence d’un changement de comportement à l’échelle de l’humanité. Une année pourrait être consacrée à l’histoire des religions, avec à la clé une meilleure compréhension des autres cultures. Là aussi, il y a urgence.
Une année pourrait être consacrée à l’histoire des migrations. Là, aussi, il y a urgence.
Une année (ou deux ?) pourrait être consacrée à l’histoire de l’esclavagisme, avec peut-être notamment pour enjeu une prise de conscience de l’esclavagisme moderne (ex : les couturiers du Bangladesh qui ont des conditions de vie misérables et nous qui achetons des vêtements à bas prix). Là aussi, il y a urgence.

Ce ne sont cependant que des suggestions.

Qu’on ne me réponde pas que le référentiel du cours d’histoire est bien comme il est car il a été écrit par des spécialistes. Mon témoignage doit être pris au sérieux justement parce que je suis d’une famille scientifique et non d’une famille d’historiens ; c’est donc pour répondre aux besoins des enfants ayant un profil similaire à celui qui était le mien que le cours d’histoire doit être adapté. Les parents qui ont une bonne connaissance de l’histoire en lien avec les problèmes actuels peuvent combler les manquements du programme auprès de leurs enfants ; il faut donc écouter les témoignages des anciens élèves dont les parents n’avaient pas ces connaissances. Demandez aux anciens élèves si le cours d’histoire leur a permis de comprendre le monde moderne !

Il est urgent de donner du sens aux apprentissages obligatoires.
Il est urgent de rendre attractif notre enseignement obligatoire.
Le référentiel du cours d’histoire est un levier qu’on peut actionner sans frais et relativement rapidement.

J’ai eu la chance, durant mes études supérieures, de découvrir une autre façon d’enseigner l’histoire et de faire la comparaison avec le programme insatisfaisant du secondaire. L’histoire enseignée par thèmes a été pour moi bien plus intéressante et utile ; je suis convaincue qu’elle conviendrait mieux aux jeunes et qu’elle permettrait au référentiel d’atteindre son objectif.
C’est mon diagnostic mais je n’ai aucun pouvoir pour faire des changements. Ce qui m’importe, et c’est ma responsabilité autant que celle des personnes qui ont le pouvoir de changer les choses, c’est qu’on arrive, en Fédération Wallonie-Bruxelles, à ce que la scolarité soit source d’épanouissement. Il reste du chemin à parcourir.

Je vous remercie de m’avoir lue. Je serais heureuse d’avoir des retours.

Cordialement,

 

Ir. Aurélie Larcy

 

 

 

Categories: Débats

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