Histoire & Enseignement

l'Association Belge des Professeurs d’Histoire d’Expression Française

Une certaine manière d’inculquer une certaine histoire
Un livre analyse les chromos « Nos gloires » d’Historia

« À l’aune de Nos Gloires – Édifier, narrer et embellir par l’image. Actes du colloque tenu au Musée royal de Mariemont les 9 et 10 novembre 2012 », édités par Bertrand FEDERINOV, Gilles DOCQUIER et Jean-Marie CAUCHIES, Musée royal de Mariemont, Presses de l’Université Saint-Louis. Bruxelles 2015.

Les ouvrages collectifs comportent souvent des contributions de valeurs inégales et c’est spectaculairement le cas de ce volume.
À côté de chapitres très intéressants et critiques, on trouvera donc des pages d’hommages appuyés (notamment par leurs propres enfants) des deux dessinateurs de ces images, offertes en échange des la consommation de certains produits, et surtout un « chroniqueur » (sic) injuriant les artistes confirmés (p. 63) et lançant ses anathèmes contre les critiques d’art qui ont été incapables de mettre en valeur le talent de ces deux dessinateurs.
Bien des pages sont inutiles : détail superflus sur l’entreprise et ses locaux ou description des programmes, compétences et enquêtes en histoire suggérées par la Communauté française, renseignements aujourd’hui faciles à trouver sur des sites (par exemple « Histoire et enseignement ») régulièrement mis à jour.
Si le très monarchiste et conservateur abbé rédacteur des légendes fait l’objet d’un intéressant portrait par Eric Bousman, était-il nécessaire, pour ce personnage finalement peu marquant, de consacrer 22 (vingt-deux) pages à ses maigres publications (manuels indéfiniment réédités ou articles de très large vulgarisation) détaillées à l’extrême en allant jusqu’à préciser sur quel papier (Featherweight) est réalisé le tirage ?
En refermant le volume on ne peut que regretter que les questions du lecteur restent sans réponse.
Les chapitres se découpent selon des tranches chronologiques classiques mais on ne perçoit pas de réflexion transversale sur l’idéologie souterraine de cette collection, le choix des « grands hommes », l’usage des mots (« nous », la Belgique, nos régions…). Quelle est la problématique générale du volume, au-delà des détails surabondants ?
La fidélisation des enfants aux produits et marques à travers des chromos, pins, cadeaux aurait pu être étudiée du XIXe siècle à nos jours, en se concentrant sur la France et la Belgique et aurait constitué une intéressante introduction au volume.
Le lecteur aurait pu espérer une comparaison des images Historia avec les diverses visions de l’histoire de Belgique à travers les chromos : les 100 images d’histoire de Belgique, les chromos Liebig, le chocolat… Quels événements, quels personnages retiennent les uns et les autres ? Quel sens leur donnent-ils ?
On aimerait connaître le tirage de « Nos gloires » avec une différenciation selon les volumes car, tout comme aujourd’hui, les premiers numéros des publications en série sont plus souvent acquis que les suivants.
Peut-on mesurer l’impact de ces chromos et de leurs légendes édifiantes ?
On s’interroge aussi sur le choix de ces illustrateurs : pourquoi, alors que les photos deviennent performantes, la marque a-t-elle voulu ces chromolithographies réalisées par des artisans certes consciencieux et minutieux mais dont le style figuratif descriptif (Huens recopiait des gravures anciennes, des tableaux mais aussi des planches du dictionnaire !) était obsolète dès sa parution. Leur esthétique hyperréaliste était, selon la belle formule d’Alain Colignon, jointe à un texte constituant un « véritable fossile idéologique ».
Enfin, on pourra regretter que la bibliographie soit parfois datée (un article de J.-J. Hoebanx de 1981, plutôt que le livre de Michel Staszewski sur l’histoire du cours d’histoire) et que n’aient pas été invités à apporter leur éclairage critique ceux qui, il y a plus de vingt ans, avaient analysé l’usage politique de ces héros et événements de l’histoire belge.
Un beau sujet donc, mais traité de manière décevante.

Anne Morelli

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