Histoire & Enseignement

l'Association Belge des Professeurs d’Histoire d’Expression Française

La campagne pour l’élection présidentielle en France a fait naître un débat à droite sur la place de l’histoire dans l’école (en général : primaire, collèges, lycée). Vrai ou faux débat : selon l’avis clairement énoncé de l’un des candidats de la droite (François Fillon pour ne pas le nommer), bon nombre de sujets historiques ne sont plus abordés dans les classes. On oublierait de parler de ces « grandes » figures que furent Clovis, Jeanne d’Arc.

Il faudrait « réécrire les programmes d’Histoire afin de les concevoir comme un récit national ». Récit ou roman national ?  Dans ce sens, l’histoire aurait pour but d’unifier et de protéger la nation. Cette conception est apparue en France au XIXe siècle, sous la IIIe République, au lendemain de la défaite de Sedan et de la fin du Second Empire. Il fallait faire preuve de patriotisme dans le but de montrer la grandeur, l’unité de la France, l’exhorter au patriotisme et former la communauté nationale.

Le manuel de l’historien Lavisse décidait : « Tu dois aimer la France, parce que la Nature l’a faite belle et parce que l’Histoire l’a faite grande.

L’idée du retour à ce roman ou récit national était déjà réapparue au moment où le gouvernement Fillon (Premier ministre de Nicolas Sarkozy), entre 2009 et 2011, développait le thème de « l’identité nationale ». Il est certain que tout gouvernement de droite se méfie de l’enseignement de l’histoire, sachant que beaucoup d’enseignants, toutes disciplines confondues, votent à gauche.

Signalons que personne, parmi les hommes politiques, ne se plaint de l’enseignement de la chimie, de la physique, des mathématiques, des technologies (liste non exhaustive). Ces branches ne dérangent pas au contraire de l’Histoire :; celle-ci, sans la réflexion, la critique, n’est pas de l’Histoire.

La lecture des programmes peut nous éclairer sur les propos de monsieur Fillon.

Voyons d’abord dans l’enseignement fondamental (selon le terme belge) :

a)En CM1 (4e année du fondamental en Communauté française), trois thèmes sont abordés :

-« En avant la France »

-« Le temps des rois »

-« Le temps de la Révolution et de l’Empire »

  1. b) En CM2 (5e année du fondamental) :

-« Le temps de la République »

-« L’âge industriel en France »

-« La France des guerres mondiales à l’Union européenne ».

Pour ce type d’enseignement, il n’y a donc aucun problème, aucune question à se poser puisque les thèmes abordés sont tous en relation avec l’histoire nationale. Ce n’est pas cependant ce que pense le candidat précité :  » Pourquoi les enfants chinois apprennent-ils par cœur la liste des dynasties qui ont régné sur leur pays durant trois mille ans et expriment-ils leur fierté d’appartenir à une grande civilisation, quand les jeunes Français ignorent des pans de leur histoire ou, pire encore, apprennent à en avoir honte.  »

Mais l’Histoire ne s’apprend pas par cœur.

Qu’en est-il programmes du Collège (DI en Belgique) ?

  1. a) Sixième (6e année du fondamental) :

– Histoire de l’Humanité et des migrations

– Récits fondateurs, croyances et citoyenneté dans la Méditerranée antique au Ier millénaire av J-C.

– L’Empire romain dans le monde antique.

  1. b) Cinquième (1re année des Humanités):

– Chrétientés et Islam (VIe – XIIIe siècles), des mondes en contact

– Société, Église et pouvoir politique dans l’Occident féodal (XIe – XVe siècles)

– Transformation de l’Europe et ouverture sur le monde aux XVIe et XVIIe siècles.

  1. c) Quatrième :

– Le XVIIIe siècle. Expansions, Lumières et révolutions.

– L’Europe et le monde au XIXe siècle

– Société, culture et politique dans la France du XIXe siècle.

  1. d) Troisième :

– L’Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945)

– Le monde depuis 1945

– Françaises et Français dans une République repensée.

Plusieurs personnalités de droite et d’extrême droite ont critiqué ces programmes, car ces thèmes sont divisés en programmes « obligatoires » ou  « au choix du professeur ; ce qui pose problème, ce sont les sujets à caractère religieux ou philosophique (Islam obligatoire alors que l’Église apparaît comme sujet facultatif).

Il y a eu là un manque de clarté, ce que reconnaît bien volontiers le président du Conseil supérieur des programmes, de même que la ministre. Celle-ci a promis des améliorations, mais aura-t-elle le temps de les réaliser avant l’élection présidentielle de mai 2017 ?

Remarquons  que le « Récit du commun », ouvrage collectif de Françoise Lanthaume (spécialiste des sciences de l’éducation) et de Jocelyn Letourneau (historien canadien) indique bien que le « récit patriotique » reste important dans la conscience des élèves des humanités : Clovis, Charlemagne, Louis XIV, Louis XVI, Napoléon sont mentionnés avant le XXe siècle ; au XXe, de Gaulle et Hitler retiennent l’attention (bien sûr le candidat pourrait indiquer que ce dernier personnage n’est pas français !)., à côté de Jeanne d’Arc et de Marie-Antoinette (seules femmes mentionnées).

Les élèves considèrent d’ailleurs cette histoire avec fierté, sans honte ni culpabilité envers les actes des siècles précédents, tout en ignorant bien souvent les heures peu glorieuses comme la guerre d’Algérie ou celle d’Indochine. Il est vrai que ces deux derniers sujets sont encore dérangeants dans la mémoire collective.

Ce qui choque aussi le candidat, c’est que les professeurs apprennent aux enfants  » à comprendre que le passé est source d’interrogation « .

Là, le problème est lié à la question de la méthode historique : il est certain qu’il faut se poser bon nombre de questions, et ne pas subir un récit linéaire, qui relèverait plus du bourrage de crâne que d’une formation sérieuse à la  méthode historique. La notion d’esprit critique a toujours fait partie des programmes d’histoire. Le métier même de l’historien est d’interroger ses sources, de recouper, de confronter et de comparer. L’histoire reste une discipline scientifique et toute science se doit de poser des questions et d’évoquer des doutes (l’histoire n’est pas une science exacte). Le citoyen, formé grâce à l’histoire, doit être éveillé à la raison critique. Sans critique, la formation des citoyens au monde actuel n’est pas possible ; dans le cas contraire, on se retrouverait dans un État totalitaire à la pensée unique.

L’Association des professeurs d’histoire-géographie (APGH) le rappelait encore récemment :

« On enseigne une histoire  » vraie « , c’est-à-dire celle qui s’appuie sur les sources. Pas une histoire qui relèverait de l’invention ou du roman. Si récit il doit y avoir, il ne peut être que celui qui prend en compte tous les acteurs de cette histoire, et tous ses aspects, les moments où la France est du côté du progrès comme ceux où elle vit des heures sombres. Apprendre le passé n’est pas le transformer. »

Bien sûr poser des questions c’est parfois bien gênant pour les hommes politiques.

Est-ce pour cela que François Fillon souhaite confier l’élaboration des programmes d’histoire à « des académiciens, des historiens ». Pourquoi les académiciens seraient-il des spécialistes de l’histoire, eux qui sont spécialistes de la langue française ?

En conclusion, si l’on examine tout cela, on constate que ces programmes n’ignorent en rien le passé ancien de la France.

En réalité, pour  François Fillon, l’enseignement de l’histoire est entre les mains d’idéologues au service d’une vision de la société qui ne cadre pas avec la sienne.

 

Illustration : « Clovis et Clotilde », Antoine-Jean Gros, 1811.

 

 

Categories: A vous de juger !

Laisser un commentaire