Histoire & Enseignement

l'Association Belge des Professeurs d’Histoire d’Expression Française

Pour une réhabilitation raisonnée du « par cœur »

Anne Morelli

En réponse à l’article publié sur le site « Histoire et enseignement » par Michel Staszewski (Pour en finir avec le « par cœur »), je pense utopique un enseignement qui n’intègrerait pas la moindre parcelle de « par cœur ».
Des tables de multiplication aux temps primitifs néerlandais, la mémorisation et la création d’automatismes est parfois nécessaire.
L’histoire n’échappe pas à cette règle : des classes d’accueil au master universitaire, à chaque niveau, certains repères doivent être acquis pour pouvoir progresser .
Au début du secondaire, lorsque le professeur d’histoire exige que chaque trace du passé soit située dans le temps et l’espace, comment l’élève peut-il indiquer un lieu s’il n’a pas appris (« par cœur ») les points cardinaux, les continents et les océans ?
De même, il doit être capable de situer dans le temps, par rapport à des repères chronologiques.
Si ces repères font défaut, je me suis rendu compte que des étudiants, par ailleurs parfaitement intelligents, étaient incapables de faire la critique de deux photos à confronter. En effet, même si le commentaire précisait que l’une avait été publiée à l’époque de la Commune de Paris comme représentant des victimes de la Semaine sanglante et que l’autre avait été publiée à l’époque de la Guerre civile espagnole comme étant des victimes des Républicains, les étudiants qui ignoraient lequel de ces événements précédait l’autre étaient incapables de les classer chronologiquement et donc de comprendre quelle était la « fausse » légende de cette photo.
J’ai donc demandé à ces étudiants de première année universitaire d’élaborer eux-mêmes – et de mémoriser – des fiches reprenant les connaissances indispensables à la compréhension (et à la réussite !) de l’examen.
Il est, par exemple, absolument nécessaire de connaître les dates de début et de fin des guerres mondiales, les belligérants en présence, les grands tournants de ces guerres…
Sinon, comment peut-on analyser une affiche faisant écho à la bataille de Londres ou à Stalingrad ?
Même en master, avant de « discuter » avec le professeur lors de l’examen, on doit démontrer qu’on maîtrise les définitions des concepts qui seront utilisés, sous peine de « discuter » dans le vide.

J’ai pratiqué dans le secondaire inférieur un enseignement très actif, basé sur les travaux de groupe, les recherches personnelles et les visites hors les murs de l’école.
Mais, au retour du Musée, ou à la fin du travail de groupe, la classe se posait systématiquement la question « Quels nouveaux mots avons-nous découverts ? ».
Le scribe, le pharaon, la pyramide et l’archéologue prenaient alors place dans le carnet de vocabulaire, à côté des mégalithes et de la gravure rupestre. On discutait d’une définition claire et compréhensible pour chacun des mots nouveaux, adoptée finalement par tous.
Avec l’aide du professeur de technologie, tous les élèves s’étaient construit un « électro » : d’un côté les définitions, de l’autre les mots nouveaux à leur relier. La lampe s’éclairait lorsque la jonction était exacte. Les élèves devaient s’entraîner car je contrôlais régulièrement leurs acquisitions de vocabulaire.
Les élèves – surtout les plus faibles- y trouvaient une possibilité de briller et du plaisir.

Les neurosciences sont formelles : répéter et mémoriser sont (avec le tri, la comparaison, la structuration et la décomposition) des clés essentielles de l’apprentissage.
De même que la dictée est injustement vilipendiée, le « par cœur » est jugé anachronique. C’est pourtant un moyen de se familiariser avec des mots nouveaux (ou des structures de phrases pour la dictée).
Le « par cœur » apprend à respecter les mots, les personnages ou les événements, dans leur précision et leur complexité.
Si les enfants de milieux favorisés ont d’autres moyens d’étendre leur vocabulaire et leurs repères chronologiques, les autres n’ont que l’école.
L’école est, bien sûr, un instrument de l’hégémonie des classes dominantes mais devant le « par cœur » tous les élèves sont égaux.

P.S. : Merci à Mme Wanet car, après tant d’années, je sais encore que le watt est une unité de puissance, à ne pas confondre avec le joule. Chacune de ses leçons de physique commençait par un marathon de définitions : la seconde, le mètre…
Merci à Mlle Raes : je pense encore souvent à elle. Les phrases toutes faites des conversations courantes en néerlandais qu’elle nous a fait mémoriser me servent encore !

Categories: Débats

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