Histoire & Enseignement

l'Association Belge des Professeurs d’Histoire d’Expression Française

Les polémiques mémorielles sont récurrentes. Je peux vous renvoyer au manifeste intitulé « Pléthore de mémoire : quand l’État se mêle d’histoire… » publié en janvier 2006 par 150 historiens belges. Ceux-ci déclaraient que « S’il y a bien un lien entre mémoire et histoire, les deux démarches obéissent à des exigences différentes. La mémoire mobilise le passé dans un projet politique ou civique au présent. L’histoire, elle, revendique un statut de scientificité. L’histoire n’est pas au service du politique, elle n’est pas émotion. Si l’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit certainement pas. Plutôt que le devoir de mémoire tant invoqué, nous aimerions voir plus souvent invoquer le devoir d’histoire et de savoir ». Exigence combien à l’ordre du jour quand on sait que dans le cadre du Pacte d’Excellence, l’histoire a failli disparaitre les grilles des cours de l’enseignement secondaire et que la place qui lui est « réservée » si j’ose dire est encore bien fragile puisque dépendante du bon vouloir des chefs d’établissement.
Le manifeste évoqué plus haut précisait aussi que « la démarche (mémorielle) n’a de valeur qu’ancrée dans un savoir historique qui dépasse l’émotion née du choc des horreurs. Non, l’histoire n’est pas un nouveau catéchisme de la multiculturalité, capable de combattre l’extrême droite et la xénophobie, de promouvoir la démocratie, l’idée européenne ou la solidarité mondiale. Une mémoire exclusivement « négative », faite de l’énumération des Grandes Tragédies de l’Histoire, contribue peu au développement d’une réflexion critique et elle peut même cultiver un sentiment d’autosatisfaction morale d’un présent rédimé face à un passé d’horreurs et de brutalités. »

Quoique non spécialiste de la matière, il ne me parait pas que le programme incriminé minimise les crimes du colonisateur belge. En effet on peut y lire : « La recherche du profit et le sentiment de supériorité des Européens empreint de racisme provoquent l’exploitation des populations congolaises. Celles-ci sont victimes d’exactions : chicote, mains coupées…Excusez du peu ! Sous la pression de l’opinion publique internationale scandalisée par le sort qui est fait aux populations indigènes, Léopold II cède l’EIC à l’État belge en 1908.
Même s’il met fin aux abus de la période léopoldienne, des travaux (corvées) restent imposés dans l’agriculture et les infrastructures. Le déplacement des populations, les maladies tropicales et le travail forcé provoquent une diminution de la population durant la période léopoldienne. »

La question n’est pas « les polémiques ont-elles lieu d’être ». La question est quels sont les faits ? Les faits historiques bien entendu. Mais aussi quelle est la commande de la Communauté française en matière historienne ? En effet, en aval de tout programme, quel que soit le réseau, il y a un décret qui précise les savoirs et les compétences à mettre en œuvre. Comment les autres réseaux ont-ils transposés le prescrit décrétal ? Accorde-t-il plus ou moins d’importance à la colonisation africaine de la Belgique ? En quels termes ? Et les manuels ? Il est évident que le programme n’est pas le cours élaboré par les professeur(e)s. À titre indicatif, les savoirs du programme incriminé s’étalent sur deux petites pages A4, une séquence de 11 heures de cours dépasse largement ce volume de savoirs. Comment les manuels à la disposition des enseignants de tous les réseaux traitent-ils le sujet ? Les auteurs y utilisent-ils les termes de « crime contre l’humanité » ? Emploient-t-ils celui de génocide ?
La Belgique par la loi du 23 mars 1995 réprime la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide (non précisé) commis les nazis. Mais qu’en est-il des autres massacres comme celui des Arméniens en 1915-1917, celui des Tutsis et des Hutus modérés du Rwanda en 1994 et ceux qui ont été perpétrés dans l’ancienne colonie belge ? Appartient-il à des auteurs de programmes ou de manuels de prendre attitude en la matière ? Ou bien cette responsabilité relève-t-elle de l’autorité politique après la prise de connaissance des investigations historiennes ? Le terme de génocide n’est pas à galvauder. Le génocide n’est pas un massacre comme un autre. La Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 le définit comme le meurtre ou des atteintes graves à l’intégrité physique … commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

La revendication mémorielle est dans l’émotion, la quête d’une réparation, la cicatrisation d’une blessure, d’une injustice. L’histoire est une démarche rationnelle qui cherche une réponse partielle, hésitante à des questions de recherche. N’est-ce pas aussi la démarche du journaliste?

Article rédigé par Anne Morelli

Categories: Actualité, Débats

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