Histoire & Enseignement

l'Association Belge des Professeurs d’Histoire d’Expression Française

Inhérente à l’histoire de l’Humanité, la migration a depuis toujours façonné les continents et métamorphosé les sociétés humaines. En effet, l’histoire des migrations peut être qualifiée de phénomène historique total, la migration ayant impacté tous les champs de l’histoire humaine qu’ils soient économiques, sociaux, politiques ou encore culturels, et cela tant dans les lieux de départ que d’arrivée. Malgré cette permanence historique du fait migratoire, l’enseignement de cette matière a longtemps été exclu des classes de l’enseignement secondaire en Belgique francophone. Dès les années 1980, des professeurs d’universités puis des organes de représentation de la jeunesse ont dénoncé l’absence alarmante de l’histoire des migrations dans les cursus de l’enseignement secondaire en Communauté française de Belgique. Ces revendications pour introduire l’histoire des migrations dans le secondaire ont-elles été écoutées ?
A travers mon mémoire , j’ai analysé les programmes et les manuels officiels en Belgique francophone et les ai confrontés aux résultats d’un sondage mené auprès de 17 professeurs d’histoire dans le secondaire supérieur….
En fait, il est possible que la situation soit moins dramatique qu’on ne le craignait.
Des référentiels et des programmes axés, pour certains, sur le présent
Les programmes des différents réseaux doivent intégrer les contenus des référentiels en matière de savoirs, de savoir-faire et de compétences. Ces référentiels, à savoir les référentiels des socles de compétences pour le tronc commun, des compétences terminales et savoirs requis pour l’enseignement de transition et des compétences terminales et savoirs communs pour l’enseignement qualifiant, sont les prescrits légaux interréseaux. Chaque pouvoir organisateur rédige ensuite des programmes sur la base de ces référentiels et ce, en exerçant leur liberté des orientations méthodologiques.
Comme les référentiels pour les 2e et 3e degrés de l’enseignement reprenaient comme objet d’apprentissage les phénomènes migratoires, tous les programmes qui en découlent traitent de cet objet.
C’est ainsi que les programmes pour les 2e et 3e degrés de l’enseignement professionnel et technique mettent en perspective historique des thèmes d’aujourd’hui comme les phénomènes migratoires en lien avec des enjeux tels la diversité culturelle et la citoyenneté active. Pour ce faire, ils privilégient l’époque contemporaine aux dépens d’une réelle historicité du fait migratoire sur le temps long.
Et lorsqu’on compare tous ces programmes entre eux, force est de constater que c’est le programme du réseau Wallonie-Bruxelles qui fait la plus belle part à l’histoire des migrations. Il aborde, en effet, en profondeur les deux sens de la migration, de l’émigration belge (flamande vers la Wallonie au XIXe siècle, belge vers le Congo) à l’immigration vers la Belgique au XXe siècle.
Le fait de donner la possibilité aux élèves d’étudier l’émigration belge permet au professeur de relativiser avec ses élèves le caractère unidirectionnel du phénomène et de rappeler qu’au fil de l’histoire les « Belges » ont aussi été amenés à émigrer.
Quant aux autres programmes du réseau Wallonie-Bruxelles qui privilégient une approche chronologique de l’histoire, il est question de migration, en 1re commune, dans le cadre du peuplement de la terre, en 3e année, dans le cadre des « Invasions germaniques » (Comme la nature réellement invasive de ces migrations est remise en question dans le milieu académique, le programme propose de réfléchir sur cette notion « d’invasions » dites « barbares ».) et enfin, en 5e année, lorsque l’enseignant est invité à traiter de l’évolution démographique dans le monde au 19e siècle et des mouvements migratoires.
Quant au programme de l’enseignement catholique, les professeurs réactivent le concept de migration tout au long des chapitres du cours d’histoire s’ils le souhaitent. Cette réactivation donne l’occasion de démontrer la permanence historique du fait migratoire, le professeur pouvant aborder ce thème, des migrations indo-européennes aux questions migratoires dans l’Union européenne actuelle. Par contre, par l’étude des migrations indo-européennes et de la civilisation celte, le confessionnel propose de « mettre l’élève en contact « avec ses racines régionales et européennes » . Dans la société multiculturelle actuelle, il est étonnant de voir une mention directe à cette filiation homogène mythique. En effet, comment enseigner « nos ancêtres les Gaulois » à des jeunes d’origine maghrébine ou congolaise, ou même italienne ou polonaise ?
Des manuels qui laissent peu de place à l’émigration belge.
Le contexte est particulier en ce qui concerne l’offre de manuels scolaire d’histoire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Une collection agréée dans ses deux versions « FuturHist » et « Construire l’Histoire » bénéficient d’un quasi-monopole en Communauté française. Dans ces deux collections du même auteur, l’histoire des migrations est bien abordée surtout sous sa dimension politique. En effet, la place du migrant est surtout étudiée à travers des questions de citoyenneté de l’étranger ou des accords économiques entre Etats, ce qui renvoie bien sûr au contexte historique de la Belgique en matière de migrations au XXe siècle. Par exemple, le manuel mettra en parallèle la place du métèque dans la cité en Grèce antique avec la citoyenneté en Belgique des extra-européens aujourd’hui. Cependant, ce qui est le plus marquant au niveau de la collection de manuels disponibles, c’est la disproportion entre les mentions liées à l’émigration des Belges et l’immigration en Belgique. En effet, la balance penche largement vers l’histoire de l’immigration vers la Belgique. Plusieurs chapitres sont consacrés à l’immigration alors que l’émigration de Belges est seulement mentionnée une seule fois avec «L’émigration belge vers le Wisconsin au XIXe siècle ».
Pourquoi privilégier l’immigration et aborder si peu l’émigration dans l’histoire de nos régions?
Aborder le thème de l’émigration belge permettrait pourtant aux élèves de se décentrer et de constater qu’à moyen terme, de nombreux Belges ont aussi quitté leur pays, à l’instar des migrants à l’heure actuelle.

Refléter la réalité des classes
Pour le cours d’histoire, les programmes constituent les lignes directrices, les limites et les contenus obligatoires. Cependant, ces derniers regroupent des moments-clés et des concepts très vastes. Le professeur qui est un fonctionnaire se voit confier par le gouvernement un ordre de mission au travers de chaque programme. Il doit donc les intégrer dans ses cours pour assurer à chaque élève une égalité de traitement. Par contre, l’interprétation du programme, les affinités personnelles et les contraintes techniques ou temporelles des classes vont influencer la construction de son cours et ses pratiques enseignantes. Quant aux manuels, ils ne sont que des supports de classe ou des sources d’inspiration. Il semble que, le plus souvent, les enseignants « bricolent » avec les manuels et d’autres ressources. Suivre systématiquement ces manuels, du début à la fin, serait impossible et rébarbatif. Les réalités des programmes et des manuels semblent donc bien éloignées de la réalité des classes.
Focus sur le sondage qualitatif auprès de 17 professeurs
Dans ce contexte, un sondage auprès de 17 professeurs a été réalisé par Internet afin d’éclairer les pratiques enseignantes en matière d’histoire des migrations. Au vu de cet échantillon très restreint, la vocation de cette enquête était évidemment qualitative et non quantitative. L’objectif n’était donc pas d’affirmer que la majorité des professeurs adopte tel comportement ou de conclure qu’un thème migratoire est plus abordé qu’un autre. Le but de ce sondage était avant tout de créer une typologie d’enseignants en termes d’histoire des migrations. C’est-à-dire que des profils de professeurs ont été dressés pour refléter les types d’attitude, de comportement et de construction de cours que l’on peut évoquer en ce qui concerne l’histoire des migrations. Avant toute chose, il y aurait une forte tendance, chez ces professeurs, à enseigner l’histoire des migrations en classe. Sur les 17 professeurs interrogés, un seul affirmait ne pas enseigner l’histoire des migrations en classe. L’histoire des migrations serait surtout étudiée en cinquième année où le programme consacre le plus de place à des thèmes propices pour entamer cette matière (migrations aux XIXe et XXe siècles, colonisations…). Certains professeurs utilisent même les migrations comme fil conducteur de tous leurs cours d’histoire, ce qui leur permet de démontrer la permanence historique du fait migratoire, alors que d’autres consacrent des séquences particulières à cette thématique. En termes d’attitudes à développer, les professeurs attendent de l’histoire des migrations qu’elle suscite plus de tolérance chez les élèves en déconstruisant les préjugés.
L’histoire des migrations serait donc bien devenue un incontournable dans les classes !
Comme on l’a vu, aussi bien dans les programmes que dans les manuels ou les pratiques enseignantes, l’histoire des migrations s’est bien installée ce qui n’était pas le cas, il y a quelques décennies. Il semble que l’histoire des migrations a de belles possibilités d’évolution pour l’avenir, étant devenue un point incontournable qui permet aux enseignants de relativiser avec leurs élèves les « crises migratoires » actuelles, de susciter plus d’ouverture d’esprit et de démontrer que, de tous temps, l’être humain s’est déplacé dans l’espoir d’un mieux-être.

Gabriel Oubihi, professeur d’histoire, agrégé 2018.

Affiche réfugiés belges

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