Histoire & Enseignement

l'Association Belge des Professeurs d’Histoire d’Expression Française

Pour reconstituer de manière fiable des événements du passé, les historiens doivent pouvoir s’appuyer sur des sources solides. Mais quand l’objet de leur étude est un génocide, les sources matérielles et officielles sont rares car les responsables de ces crimes de masse ont évidemment tout fait pour en faire disparaître les traces . C’est pourquoi les témoignages directs sont, dans ce cas, si importants. Mais ils ne se valent pas tous.

Celui de Chil Rajchman, publié en français sous le titre Je suis le dernier Juif[1], est exceptionnel et particulièrement précieux. Chil Rajchman, Juif polonais, fit partie de la petite minorité de déportés au centre d’extermination de Treblinka[2] qui n’étaient pas immédiatement mis à mort car les SS en faisaient d’abord des esclaves chargés de l’« intendance » du génocide. Durant près de dix mois, Il fut tour à tour utilisé comme trieur de vêtements, « coiffeur », porteur de cadavres et « dentiste ». Le 2 août 1943 il participa au soulèvement organisé par les détenus. Celui-ci fit de nombreux morts mais permit tout de même à des centaines de détenus, dont Rajchman, de s’évader. Beaucoup furent ensuite tués ou repris. Quelques dizaines étaient encore en vie à la fin de la guerre. Rajchman fut l’un deux.

C’est dès 1944, alors qu’il était caché à Varsovie, que Rajchman, conscient que très peu de témoins avaient survécu à l’enfer de Treblinka, décida de coucher sur papier, en yiddish, le récit de ce qu’il y avait vécu « pour témoigner de ce grand abattoir ». Cette proximité du temps de l’écriture par rapport aux faits décrits rend ce témoignage extraordinairement précieux. D’autant plus qu’il est extrêmement factuel et précis : nulle place pour les sentiments ou pour des jugements personnels de l’auteur. Si on ajoute à cela que les récits disponibles de témoins directs de ce qui se passa dans le centre d’extermination de Treblinka se comptent sur les doigts d’une seule main, on comprendra à quel point Je suis le dernier Juif est un document d’une valeur inestimable pour tous ceux qui tiennent à ce que la réalité du judéocide ne puisse pas être niée ou minimisée.

En 1946, Chil Rajchman émigra en Uruguay. Comme pour la plupart des rescapés, il lui fallut beaucoup de temps pour accepter de témoigner publiquement de ce qu’il avait vécu. Il finit cependant par accepter de le faire, au point de jouer un rôle très actif à la fin des années 1980, dans plusieurs procès d’anciens SS dont celui d’Ivan Demjanjuk, reconnu par de nombreux témoins directs comme un acteur important du génocide à Treblinka. Mais ce ne fut qu’après sa mort en 2004, comme Chil en avait exprimé le souhait, que sa famille fit publier le texte qu’il avait rédigé en 1944. Sa version française est précédée d’une préface très éclairante, due à l’historienne Annette Wieviorka, spécialiste du judéocide et de l’histoire des Juifs au XXe siècle.

La lecture de Je suis le dernier Juif est une épreuve. Mais je suis convaincu que chaque lecteur en sort mieux armé contre les négateurs du génocide des Juifs par les nazis et leurs complices.

Michel Staszewski (9 septembre 2012)

[1] RAJCHMAN, C., Je suis le dernier Juif. Treblinka (1942-1943), Editions des Arènes, Paris, 2009.
[2] Les sources fiables manquent pour comptabiliser de manière précise le nombre de morts à Treblinka. Les estimations des historiens varient entre 700.000 et 1.200.000 victimes. Mais il est avéré que Treblinka (située à environ 60 kilomètres au nord-est de Varsovie) fut le lieu principal de la destruction des Juifs de Pologne.

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